De la « juste » présence corporelle du soignant
« Objet parleur » (Delion), le corps est aussi un lieu d’expériences vécues, de plaintes et de significations pour le sujet. Ce constat n’est pas sans conséquences : si le contact physique sert parfois l’interaction, il peut aussi prendre la forme d’une intrusion. Comment aller chercher ceux qui se replient et restent en retrait ? Lorsque les frontières du corps sont floues, lorsque la peau n’est plus cet espace sensoriel qui délimite et contient, le contact physique est facilement alors perçu comme menaçant. Le soignant doit éviter d’imposer sa sollicitude à qui ne la supporte pas. Entre le corps « objet de perception » de l’hypocondriaque, celui squelettique, mais perçu comme obèse de l’anorexique, le corps fragmenté, morcelé, envahi de la personne qui souffre de schizophrénie ou le « corps effracté » par la violence du traumatisme psychique, les nuances sont nombreuses et obligent le soignant à écouter des propos qui peuvent le désarçonner. Face à ces situations qui suscitent des émotions contradictoires, comment trouver le « juste au corps » du soin psychique ? Quelle attitude adopter ? Quelle présence corporelle le soignant peut-il déployer ?
– Agitation : « toucher à distance », approcher, apaiser… Véronique Defiolles, psychomotricienne CH Montperrin, enseignante à l’Institut de formation en psychomotricité Pitié-Salpétrière et ISRP Paris et Marseille
Approcher une personne en état d’agitation implique d’emblée un « aller vers l’autre en souffrance aiguë ». Ces sujets expriment un désarroi, une colère, une angoisse massive dont on ne connait pas toujours (voire jamais) le sens. Ils ne parviennent pas à utiliser un autre mode d’expression que l’agitation et sont débordés. Pour le soignant, il s’agit de se proposer comme contenant et lieu de projection des angoisses du patient. Quelle place pour le vécu corporel du soignant dans le soin du patient agité ? La distance relationnelle, les ponts d’échanges sont des concepts incontournables pour créer un espace relationnel suffisamment sécurisant et contenant pour aboutir à l’apaisement. L’approche par le toucher sera peut-être alors possible. Chaque concept sera illustré d’exemples cliniques en lien avec les différents temps de l’approche clinique en regard du vécu corporel du corps de l’autre par le soignant
– Le toucher sécurisant ou comment se rencontrer par le corps, Corentin Sainte-Fare Garnot, ethnologue, éducateur spécialisé, approche intégrative. Coordinateur d’unité pour jeunes avec TSA, schizophrénie, psychose, avec déficience mentale et troubles du comportement
Les patients que nous accompagnons n’ont spontanément aucune raison de nous faire confiance. Le verbal n’est pas toujours source de sens partagé et peut engendrer de la confusion. Par ailleurs, les déficits cognitifs liés aux troubles psychiques rendent les interactions sociales complexes. Pour certains patients, l’insécurité est parfois permanente et frapper devient l’unique moyen de décharge/communication. Les soignants doivent donc trouver d’autres ressources pour établir un contact sécurisant que la personne peut éprouver par elle-même au-delà des mots. C’est par le toucher que cette sécurité peut trouver corps. Il s’agit de « jouer la violence » pour ne pas la faire et donc d’apprendre des comportements alternatifs. L’atelier sport de contact permet ainsi de « langager » par le corps dans une mise en forme sensorimotrice et sociale de la rencontre.
– De « l’usage de soi » au cœur du soin, Cédric Juliens, philosophe et comédien. Il enseigne la philosophie et l’anthropologie du corps à la Haute Ecole Vinci à Bruxelles. Il anime depuis une vingtaine d’années des ateliers pratiques de travail psychocorporel à l’attention de soignants
Les soignants travaillent avec leur corps en direction du corps de l’autre. Cet engagement corporel dans la relation n’est pas anodin, il est traversé par de multiples contradictions et pulsions. Toutefois, lors de la formation initiale, ces enjeux sont parfois évacués au profit d’un discours à visée diagnostique, thérapeutique ou ergonomique. Qu’en est-il des zones d’ombre qui traversent le corps du soignant lors de la relation de soin ? Qu’en est-il des pulsions d’Eros et Thanatos qui animent le soignant ? Comment transformer des rencontres perçues comme menaçantes en moments de réconfort ? A travers une approche réflexive, je propose de déplier la subjectivité qui nait de « l’usage de soi » au cœur de la rencontre, à partir d’ateliers de corporalité expérimentés avec des soignants.