Juste une folle…
Ce témoignage est extrait du « Blogschizo » de Lana, tombée malade à l’âge de 17 ans et aujourd’hui stabilisée. Elle aborde la difficulté d’être écoutée à l’hôpital, où toute parole a vite fait d’être cataloguée dans le registre de la maladie, où les portes fermées de l’institution nient l’individu…
Si tu es « adhésif », c’est pathologique.
Si tu es « opposant », ça demande une augmentation de traitement.
Si tu souffres de tes conditions d’hospitalisation, c’est parce que tu ne sais pas où est ton intérêt.
Si tu veux moins de médicaments (et d’effets secondaires), c’est que tu es dans le déni.
Si tu ne demande rien, tu n’adhères pas aux soins.
Si tu demandes trop, tu pompes l’énergie des soignants.
Si tu n’acceptes pas les mensonges, l’infantilisation et les règles carcérales, c’est parce que tu es malade.
Si tu veux faire valoir tes droits, tu remets le travail des soignants en cause.
Si tu parles, personne ne t’écoute.
Si tu parles, tu parles dans le vide. Parce que ta parole ne vaut rien. Parce que tu es fou. C’est plus commode pour tout le monde de dire que ce que tu dis n’a pas de sens. De ne pas se remettre en question. D’ériger une barrière infranchissable entre toi et eux.
J’ai pu parler à mes amis, j’ai pu parler à des thérapeutes hors de l’hôpital (mais pas à tous), j’ai pu parler sur internet, j’ai pu parler à des étudiants, j’ai pu parler à des conférences, et être écoutée.
Je n’ai jamais pu moins parler qu’à l’hôpital, où on est censé te soigner par la parole. La maladie m’avait enfermée dans une longue nuit silencieuse, et l’hôpital ne m’en a pas sortie, au contraire. Derrière ses portes fermées à clés, c’est le règne du silence et des paroles fausses. Une fois passée cette porte, je n’étais plus rien, ma parole n’avait plus de valeur. J’étais folle. J’étais juste folle.
Je me demande souvent si les soignants se rendent compte de la souffrance que ce sentiment fait naître, être considérée juste comme une folle, niée dans son individualité, dans sa parole, confrontée à des règles arbitraires. Ou s’ils s’en fichent. Ou si ça les fait rire. Ou si ça les fait se sentir puissants. Je ne sais pas ce qui est pire.
J’ai été hospitalisée il y a vingt ans, et j’en ai toujours le ventre noué, de cet endroit carcéral et de la fragile jeune fille brisée que j’étais. Les forces sont tellement inégales. Une folle sans parole face à l’institution toute puissante. J’ai râlé, j’ai pleuré, et puis j’ai souris et j’ai fait semblant. Parce que c’était la seule réponse possible. Tu dois être ce qu’ils veulent que tu sois, parce que tes mots n’ont pas de poids.
Parce que tu es juste une folle. Pas une personne.