3es Rencontres Soignantes en Psychiatrie

Isolement et/ ou contention : quelles perspectives cliniques ?


Depuis plusieurs mois, l’isolement et/ou la contention sont au cœur de l’actualité de la psychiatrie française.

Ces mesures posent des questions éthiques, qui interrogent le droit et le respect des libertés fondamentales. Leur recrudescence, en réponse à des situations très diverses, a ainsi récemment conduit le législateur à restreindre leur utilisation, uniquement « en dernier recours ».

L’isolement et surtout la contention font aussi émerger de réelles questions cliniques. Ces pratiques peuvent en effet compromettre l’alliance thérapeutique, retarder la réhabilitation psychosociale, et complexifier le rétablissement.Quels critères cliniques légitiment le recours à l’isolement et/ou à la contention ? Quels bénéfices cliniques en attendre ? Quels sont les effets indésirables ? Comment établir une balance bénéfice/risque ? Quelles procédures explicites mettre en place ?Des équipes n’utilisent ni contention, ni isolement. Comment procèdent-elles pour contenir les patients agités ? Comment s’appuyer sur leurs savoir faire et leur expérience ?Les isolements et/ou contentions sont parfois considérés comme des symptômes de dysfonctionnements institutionnels. Peut-on les traiter ? Comment travailler la dimension contenante de l’institution ? Par des réunions communautaires ? Par l’analyse des pratiques ? En faisant appel à des tiers ?

Ces différentes pistes ont été explorées et questionnées au cours de 4 tables rondes

 

Le programme détaillé de l’édition 2017

Voir toutes les vidéos sur notre chaîne Youtube

 

Isolement et/ou contention : une responsabilité éthique éclairée

– Les pratiques d’isolement et de contention sont-elles acceptables pour les personnes qui les vivent ?

Groupe de pairs ou citoyens concernés, nous avons expérimenté les mesures de contention et d’isolement de manière variable lors d’hospitalisations en établissements psychiatriques, et nous avons été amenés à analyser ces expériences au cours d’ateliers de discussion organisés par le programme Capdroits.
Nous présenterons les principaux éléments de ces analyses de manière très synthétique. Nous développerons l’idée que si ces mesures ne font pas l’objet d’un rejet systématique, en raison de la confiance que certains d’entre nous ont dans les professionnels de la santé ou au regard de conséquences « bénéfiques », nous partageons toutefois tous l’idée qu’une alternative aurait pu être possible. Ces mesures apparaissant dès lors bien souvent disproportionnées par rapport à la situation vécue.

Les usagers – experts « Capdroits »

–  Isolement et /ou contention , dimension juridique et éthique

En quelques années, le soin psychiatrique est passé d’une zone de « sous droit » à une zone de « sur droit ». Si l’intervention du législateur était inévitable pour tenir compte de l’évolution rapide de la jurisprudence, il est regrettable que le Parlement ait abordé cette question sous l’angle exclusif de l’usage de la contrainte. L’introduction de l’article L. 3222-5-1 dans le code de la santé publique qui stipule que « l’isolement et la contention sont des mesures de dernier recours », vient bousculer les usages de nombreux services de soins et imposer une procédure lourde qui repose sur un registre administratif recensant les « décisions » des psychiatres. Une telle réglementation est inédite en médecine et ne traite qu’une partie des difficultés rencontrées sur le terrain. Elle traduit malheureusement un traitement dérogatoire et partiel de la psychiatrie. L’analyse de la loi du 26 janvier 2016 et de l’instruction du 29 mars 2017 « relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement » sera l’occasion de faire le point sur la manière dont le droit positif aborde les trois moments de « l’isolement » et de la « contention » : la décision d’y recourir, sa mise en œuvre et ses suites. S’il n’est pas possible de refuser d’appliquer la loi, il est important de s’interroger sur la manière de l’appliquer au quotidien en respectant l’éthique.

Eric Péchillon,  Professeur de droit public Université Bretagne Sud, spécialisé en droit de la psychiatrie 

–  Du désarmorçage à l’isolement-contention, des réponses graduées à partir de la clinique

Les pratiques d’isolement et de contention semblent en augmentation constante ces dernières années. En présentant les derniers travaux de la Haute Autorité de Santé, les intervenants rappellent l’importance d’une prévention et d’une anticipation des moments de violence liés à des troubles mentaux, à travers une organisation institutionnelle claire et des techniques de désamorçage. Le recours à l’isolement ou la contention ne doit dès lors s’inscrire que comme une mesure de protection et de dernier recours strictement justifiée cliniquement.

Dr Charles Alezrah, psychiatre, président groupe de travail isolement et contention à la HAS et Dr Marielle Lafont, Conseiller à la HAS, Service Évaluation de la pertinence des soins et Amélioration des Pratiques et des Parcours, co-pilote groupe de travail « Mieux prévenir et prendre en charge les moments de violence dans l’évolution clinique des patients adultes lors des hospitalisations en services de psychiatrie »

Isolement et/ou contention : une décision clinique argumentée

– Argument cliniques  pour isoler et/ou attacher

Isolement et contention sont désormais définis par leur conséquence : la privation de la liberté d’aller et venir. La décision, d’ordre administratif, d’où découle la prescription, doit être fondée sur un motif médical, d’ordre clinique, sous-tendu par un raisonnement psychopathologique. Le passage à l’acte, le comportement dangereux ou le trouble du comportement, autant de notions imprécises, qui ne peuvent constituer à elles seules une indication clinique (il en est de même du statut du patient ou de son mode d’hospitalisation, placés hors indication dès 1998 dans le référentiel l’Audit clinique appliqué à la chambre d’isolement en psychiatrie (Anaes)). En l’absence de d’indication clinique, la décision de levée de l’isolement ou de la contention n’est logiquement fondée que sur le constat de l’absence de passage à l’acte pendant l’isolement. Ceci pose clairement deux questions : celle de la responsabilité du patient  et en corollaire celle de l’impact psychique de la non-différenciation des identités et des champs d’intervention lorsque le médecin cumule les rôles de soignant, d’expert et de juge.

Dr Jean Pierre Vignat, psychiatre des hôpitaux, PH honoraire, formateur, superviseur

–  Isoler et/ou attacher : quelles conséquences sur le parcours de  vie

Plusieurs études montrent que si les patients placés en chambre d’isolement peuvent conserver une image d’eux-mêmes relativement bonne après avoir vécu cette mesure (pour peu que celle-ci ait été reprise avec les membres de l’équipe), les patients attachés gardent pour leur part un vécu traumatique. Tout comme ceux qui sont isolés (mais dans une moindre mesure), ils peuvent vivre une expérience de dépersonnalisation provoquée par la contrainte par corps, proche des hallucinations et du délire (perception faussée, projection, interprétation délirante). Lorsqu’on les écoute, on constate que ces mesures les rendent plus « dociles ». « Restez calmes », tel est le conseil qu’ils donnent aux autres patients pour éviter la contrainte. La folie ne s’exprime plus, ou alors sans intermédiaire. Une fois « dociles », on leur parlera d’éducation thérapeutique du patient, de réhabilitation psychosociale et de rétablissement. On cherchera alors à entretenir un espoir que l’on aura contribué à anéantir. Un patient attaché ou isolé, une fois sorti, consentira plus difficilement à une alliance thérapeutique et à une hospitalisation en cas de rechute.

Dominique Friard, infirmier de secteur psychiatrique, superviseur d’équipes

–  La lente sortie de la chambre d’isolement de Fidélio ou le collectif soignant en mouvement

Fidelio, la quarantaine, a passé quinze longues années en isolement. À l’occasion d’une restructuration de services, des soignants portent un regard différent, allégé des représentations, sur ce patient redouté et habitué des passages à l’acte violents. Mois après mois, ils mettent en place une stratégie de « frustrations accompagnées » très contenante qui permet à Fidélio d’intégrer l’autre et ses possibles, de sortir de l’immédiateté pour s’inscrire dans une temporalité intégrant le futur et de se rendre accessible aux soins. Le collectif soignant l’a emporté sur l’individuel, la cohésion sur la dispersion, l’intelligence sur les représentations, la confiance sur l’évitement.

Jacky Merkling, cadre supérieur de santé et Corinne Merkling, cadre de santé, Centre psychothérapique de Nancy

 

Isolement et/ou contention : des modalités pratiques régulièrement interrogées

–  Etat des lieux des pratiques

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a pour mission de veiller à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. L’hôpital psychiatrique, s’il n’est pas par définition un lieu de privation de liberté, peut admettre des patients sans leur consentement et dont la liberté d’aller et venir se trouve restreinte ; en outre ces patients peuvent être soumis à des mesures de contrainte physique (placés en chambre d’isolement ou sous contention), procédures exclues de tout contrôle judiciaire. Les visites du CGLPL dans les établissements de santé ont notamment mis en évidence des pratiques de l’isolement et de la contention très diverses d’un département à l’autre, voire, d’un secteur à l’autre et d’une unité à l’autre. La loi du 26 janvier 2016 avec la circulaire d’application du 29 mars 2017 devraient modifier la situation en énonçant clairement un objectif d’encadrement et de réduction de ces mesures et en instaurant dans chaque établissement de santé un registre recensant ces mesures. Le CGLPL, outre les rencontres avec les acteurs des établissements de santé et les visites de l’ensemble des chambres d’isolement, vérifie la mise en œuvre de ce registre et devrait disposer dorénavant d’un outil permettant de faire le point sur ces pratiques au sein de chaque établissement.

Betty Brahmy, psychiatre Contrôleur des lieux de privation de liberté

–  Définir le bon usage de la contrainte : retour sur les pratiques ordinaires de recours à la chambre fermée

L’usage des contentions mécaniques et de la chambre d’isolement font, depuis la loi du 26 janvier 2016, l’objet d’un nouvel encadrement légal. Celui-ci en fait la matière d’une « décision » médicale (et non d’une prescription) et indique que ce doit être une pratique de « dernier recours ». Mais comment les soignants définissent-ils en pratique le bon usage de la contrainte ? Cette intervention portera sur les recours ordinaires à la chambre fermée (chambre d’isolement, de soins intensifs, d’apaisement, chambre ordinaire fermée), à partir d’une recherche sociologique s’appuyant sur des observations sur le terrain (services d’hospitalisation et d’urgence) et d’entretiens avec des professionnels (infirmiers, aides-soignants, psychiatres), dans la période précédant la loi de 2016. Elle reviendra sur les différentes fonctions que lui attribuent les soignants : thérapeutique (apaiser, contenir), de sécurité (prévenir des violences), d’ordre (réguler les tensions du service)… et la manière dont ils en identifient les usages « bons » et « mauvais », légitimes et illégitimes. Devant l’hétérogénéité des pratiques d’un service à l’autre, il s’agit de poser la question de ce qui permet aux soignants de réinterroger leurs manières de faire.

 Delphine Moreau, sociologue, Hesav, Lausanne

–  De la contention physique à la contenance psychique : le cheminement d’un équipe de soin

Soigner en psychiatrie sans utiliser de dispositif de contention et en réduisant l’isolement reste possible, à condition de prendre en compte les entours et le paysage institutionnel. Travailler les questions de l’accueil, de la vie quotidienne, de la fonction soignante partagée et de la fonction phorique, constitue le socle à partir duquel nous tentons de mettre en œuvre au quotidien une pratique clinique où la subjectivité et l’invention de chacun ont droit de cité.

William Errigo, cadre supérieur de santé et Arnaud Boeglen, psychologue, Unité Chamoise, Centre psychotérapique de l’Ain.

 

Isolement et/ou contention : des alternatives élaborées par le collectif soignant

  – Comment prendre en charge les états de violence et d’agitation sans isoler ou attacher ?

Depuis 2010, une équipe mobile a été mise en place à la Clinique psychiatrique cantonale de l’hôpital de Mendrisio (Suisse) afin de réduire les pratiques contraignantes extrêmes. Objectif atteint en 2014 avec la suppression des contentions mécaniques et l’isolement. Les membres de cette équipe mobile sont des soignants dédiés, qui offrent une assistance immédiate via différentes stratégies d’intervention de crise. Au fil du temps, ces modalités de prise en charge de la crise et de l’agressivité se sont implantées et améliorées. Des techniques de soins intensifs et des traitements repérés en amont avec le patient ont permis de changer de paradigme, en impliquant les équipes en interne et les acteurs extérieurs. Supprimer la contention et l’isolement en psychiatrie est un engagement qu’il faut tenir et une conception des soins qu’il faut partager avec les nouvelles générations de soignants en santé mentale.

Fiorenzo Bianchi, directeur des soins, Clinique psychiatrique cantonale de Mendrisio (Suisse)

 – Alternatives à l’ isolement et à la contention en psychiatrie ; expertises soignantes et légitimité des savoirs ancrés (Recherche-Action-TARPI) 

Quatre partenaires européens ont mené une recherche-action sur les alternatives à l’isolement et à la contention en psychiatrie, afin d’identifier, de conceptualiser et de se former à d’autres prises en charge de la crise (Clinique hospitalière Jean Titeca, Bruxelles – Clinique Parnassia, La Haye – Centre Hospitalier Neuro-Psychiatrique d’Ettelbruck, Luxembourg – Centre de recherches C.E.R.I.S.E.S de la Haute École de Bruxelles-Brabant). Notre hypothèse était la suivante : les soignants mettent en œuvre au quotidien des alternatives à la contrainte qui restent invisibles car elles sont rarement reconnues comme telles par les professionnels eux-mêmes et leurs collègues. Nous avons donc exploré leurs comportements professionnels afin de faire émerger et légitimer ces « bonnes pratiques ». Pour ce faire, nous avons élaboré un dispositif méthodologique à partir de trois sources : les groupes d’analyse des pratiques, le théâtre-forum d’Augusto Boal, et l’analyse de l’activité. Ces « bonnes pratiques » identifiées, les participants ont co-construit un module de formation « TARPI » (Toward Alternitive to Restrain in Psychiatric Institutions :vers des alternatives aux mesures de contention et de mise à l’isolement en milieux psychiatriques) destiné à leurs pairs qu’ils ont ensuite formés.

Jerry Libert, kinésithérapeute et Julien Simon, éducateur, Clinique Hospitalière Jean Titeca (Bruxelles) et François Gillet , éducateur et psychopédagogue et Rolland Pollefait, sociologue, Enseignant-Chercheur C.E.R.I.S.E.S