2es Rencontres Soignantes en Psychiatrie

Comment la psychose interroge l’éducation thérapeutique du patient ?

Si l’objectif de l’éducation thérapeutique du patient (ETP) est « d’aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique » *, dès que la personne souffre de psychose (schizophrénie, troubles bipolaires ou paranoïa), la démarche se complexifie…

  • Le déni est une étape normale du processus d’appropriation de la pathologie. Lorsqu’il est au cœur de la maladie mentale que faire en terme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) ?
  • Les troubles cognitifs rendent également plus aléatoires l’acquisition de compétences d’auto soins et/ou d’adaptation. Comment les prendre en compte sur un plan clinique et pédagogique ?
  • Les groupes d’ETP favorisent le partage entre pairs du vécu de la maladie, comment intégrer ces savoirs « expérientiels » à cette démarche ?
  • Comment penser la dynamique d’un groupe d’ETP ?
  • Comment maintenir une clinique de la relation au cœur du processus d’ETP ?
  • Quelle démarche d’ETP proposer à un patient souffrant à la fois de psychose et d’une pathologie chronique somatique ?
  • Quels enjeux posent les outils numériques à l’ETP dans la psychose ?

 

Le programme détaillé de l’édition 2016

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Comprendre les enjeux de l’éducation thérapeutique du patient dans la psychose

– Schizophrénie et ETP : comment faire avec le déni, les troubles cognitifs et l’insight.

Les personnes souffrant de troubles schizophréniques doivent faire face à des difficultés souvent considérables pour parvenir à « vivre avec » la maladie. L’éducation thérapeutique du patient (ETP) constitue un outil de choix pour accompagner ces patients. Mais le chemin est semé d’embûches, certaines habituelles dans tout parcours avec une maladie grave, d’autres plus spécifiques, liées aux troubles cognitifs de la schizophrénie. Cet exposé portera sur les difficultés rencontrées dans la pratique de l’ETP dans un contexte de déni des troubles, l’insight étant un facteur majeur de bon fonctionnement et de rétablissement. De quel insight est-il question ? Que doit cibler l’ETP ? Quelles sont les principales difficultés engendrées par les troubles cognitifs (au sens large du terme) et comment en tenir compte ?

Christine Passerieux, professeur de psychiatrie, chef de service CH de Versailles

– Education thérapeutique du patient : de quoi parle-t-on ?

Au fil des années, l’éducation thérapeutique est devenue un enjeu de santé publique au regard de l’augmentation importante des maladies chroniques. Pourtant si elle n’est priorisée que sous un angle économique, elle risque d’engendrer des confusions surtout si elle est réduite à la transmission de « bonnes conduites » concernant la maladie, l’observance thérapeutique ou l’hygiène de vie. Cette communication sera construite autour de trois questions :

  • Qu’est-ce que l’éducation thérapeutique ? Il s’agira de s’appuyer sur une conception multi référentielle afin que la personne souffrant de troubles psychotiques puisse trouver du sens dans un projet d’éducation et de soin.
  • Comment faire ? Seront abordés les champs d’interventions disponibles, les intérêts et les limites d’un programme ETP.
  • Quand proposer un programme d’ETP ? Seront décrites les étapes du processus qui permettent ensuite d’identifier quand l’éducation thérapeutique est la plus opportune.

Jean-Marie Revillot, professeur de psychiatrie, infirmier psychiatrique, docteur en sciences de l’éducation, qualifié au poste de Maître de conférences et formateur au GRIEPS

– Education thérapeutique (du patient et de son entourage) et parcours de rétablissement du patient souffrant de psychose.

La reconnaissance du rôle prééminent de la personne soignée comme créateur de son propre rétablissement va totalement remettre en question les pratiques soignantes.

La démarche d’éducation thérapeutique (ETP) est une co-construction la plus individualisée possible, au service du parcours de rétablissement de la personne et qui doit intégrer les proches. Cependant, la définition étroite donnée à l’éducation thérapeutique du patient par la loi HPST et les référentiels de l’HAS, a occulté la dynamique initiée depuis plus de 30 ans en psychiatrie autour de la psychoéducation (individuelle et familiale) qui avait largement fait la preuve de son efficacité dans le traitement des schizophrénies.

Néanmoins, dans la nécessaire refondation de la relation soignant-soigné qu’elle requière et par la dynamique individuelle mise en place, la démarche d’éducation thérapeutique peut tout naturellement intégrer les outils de la réhabilitation psychosociale (entraînement des habiletés sociales, remédiation cognitive…) qui viendront servir le parcours de rétablissement de la personne. Et plus que le programme d’ETP lui-même, ce sont l’engagement des partenaires et « l’horizontalisation » de la relation soignant-soigné qui constituent les leviers du changement.

Olivier Canceil, psychiatre, chef de pôle, EPS Maison Blanche

 

Accueillir les savoirs du patient souffrant de psychose

– Savoirs liés à l’expérience de la maladie : « savoirs amateurs » ? « Auto-science » ? Peut-on prendre en considération l’expérience de la folie ?

La reconnaissance des savoirs développés par les malades atteints de maladie chronique, s’affirme de plus en plus dans les institutions sanitaires, sociales et médico-sociales. En santé mentale, les médiateurs de santé pairs ou les approches orientées vers le rétablissement et lempowerment (pouvoir d’agir), sont autant d’exemples révélateurs de la prise en compte par ces institutions des savoirs issus de l’expérience de la vie avec des troubles psychiques. Pour les professionnels, il est parfois difficile de repérer ces savoirs en construction et de les valoriser. De quelle nature sont-ils ? Qu’apprennent-ils aux professionnels ? Comment repérer et caractériser les savoirs mobilisés par les patients lors de leurs parcours de rétablissement, que ce soit dans leur trajectoire personnelle (auto-soins…), au sein de leur communauté ou dans d’autres dispositifs de soins auxquels ils peuvent avoir recours ?

Emmanuelle Jouet, Docteur en sciences de l’éducation, EPS Maison Blanche

– « Ce que la maladie m’a appris », l’éducation thérapeutique « inversée »

Après avoir traversé des phases maniaques et dépressives et des états psychotiques, je pense que dans certains domaines je peux me considérer comme un « expert » de la maladie. Ou en tout cas de « ma » maladie. Elle m’a changé, elle m’a fait du mal, elle m’a aidé, elle m’a grandi… elle m’a construit. Pour me rétablir j’ai démarré un processus de résilience, long et semé d’embûches. Aujourd’hui j’en ai fait une force, j’ai su l’apprivoiser. Je suis plus prudent avec ma santé, je sais m’arrêter quand j’en ai besoin, je sais réfréner une crise paranoïaque, contrôler une pulsion de consommation. Je sais ce qu’est la solitude, ne pas sortir de chez soi pendant trois semaines, perdre son travail, sa famille, ses amis.

Dans mon travail de médiateur de santé pair, je donne de mon temps aux gens, j’essaye de les aider à prendre conscience de leurs forces parce que c’est un outil absolument essentiel dans un parcours de rétablissement.

Yves Bancelin, médiateur de santé pair au sein de l’équipe de réhabilitation psychiatrique du service du Pr Christophe Lançon, AP-HM (Assistance publique hôpitaux de Marseille)

– Le récit de vie comme support du bilan éducatif

Le « bilan éducatif » constitue la première étape d’une démarche d’éducation thérapeutique du patient. A cette étape, le récit biographique est un outil qui permet à la personne de raconter son histoire, de mettre en intrigue les différents évènements de sa vie et de leur donner du sens. La survenue de la maladie mentale entraîne des ruptures, modifie le quotidien et les habitudes, les relations avec l’entourage et la vie sociale. L’expérience de la maladie engage ainsi un ensemble de « processus biographiques » qui se traduisent chez le sujet malade par des reconfigurations de l’image de soi, de son existence et de ses modes d’être au monde.

Par la biographisation, chacun peut avoir l’opportunité de donner ainsi une forme narrative à son histoire en l’intégrant dans une continuité, une cohérence pour lui donner du sens et ensuite construire son devenir. A travers des extraits d’entretiens biographiques réalisé lors de bilans éducatifs partagés, nous montrerons l’importance de cette étape, d’une part dans l’émergence du vécu expérientiel et l’identification des facteurs favorisant l’empowerment (ou pouvoir d’agir) de la personne et d’autre part dans la prise de conscience des soignants d’associer les usagers au projet de soin. Lors de ce processus de « trans-formation », chacun contribue au changement de l’autre, avec l’autre, dans une volonté de faire ensemble.

Frédérique Ibarrart, cadre supérieur de pôle, formatrice et coordinatrice éducation thérapeutique, CH Charcot (78)

Mobiliser et engager les compétences de l’équipe soignante

– Comment partager ses connaissances et faire émerger celles du patient : quelles méthodes pédagogiques ? (compétences pédagogiques et usage de soi dans l’éducation thérapeutique)

La posture et les compétences du professionnel en éducation thérapeutique se sont transformées ces dernières années, de concert avec l’évolution de l’approche éthique. Du point de vue pédagogique, le rôle du professionnel change, passant de l’expert qui transmet des savoirs complexes à celui de formateur qui accompagne les changements de comportements et renseigne sur les options de ces changements et les différentes stratégies qui pourraient convenir.

Quelles ressources théoriques et méthodologiques issues des sciences de l’éducation peuvent mobiliser les professionnels ? Quelles sont les outils et les méthodes dont dispose le professionnel pour proposer un accompagnement pédagogique individualisé ? Du point de vue relationnel et interactionnel, la posture professionnelle auprès du patient devient plus horizontale et partenariale. Le partage d’expériences permet d’établir une relation de confiance indispensable à l’engagement dans le processus d’apprentissage et à l’alliance thérapeutique. En quoi la relation de partenariat participe-t-elle à la co-construction de savoirs entre professionnels et patients ? Comme s’élabore cette relation ?

Cet exposé présente l’exemple de ForPEPS (formation à l’animation du Programme Emotions Positives dans la Schizophrénie – PEPS), un dispositif de développement des compétences pédagogiques et cliniques des professionnels

Alexandra Nguyen, infirmière, maître d’enseignement à l’Institut et Haute Ecole de la Santé La Source (Lausanne), Doctorante en Sciences de l’éducation (Université de Genève).

– Quelle place pour l’entretien motivationnel dans la pratique de l’ETP chez les patients souffrant de troubles psychotiques ?

Les traitements médicamenteux et psychothérapeutiques peuvent améliorer significativement l’état de santé et le fonctionnement au quotidien des personnes soufrant de troubles psychotiques. Hélas, l’observance médicamenteuse et la participation des patients au suivi médico-psychologique sont souvent partielles. L’éducation thérapeutique du patient (ETP) répond à cette situation en favorisant une participation plus active du patient aux soins. Pour autant, le patient doit s’engager dans cette démarche et s’y maintenir ce qui peut représenter une véritable difficulté pour des personnes souffrant d’une perte de motivation et d’un déficit dans l’initiation de l’action.

L’Entretien motivationnel (EM) peut apporter une aide dans les programmes d’ETP en prenant en charge ces aspects motivationnels et en favorisant l’engagement et la participation des patients.

Emeric Languérand, psychologue, psychothérapeute, centre hospitalier Sainte-Anne et  président d’honneur de l’Association francophone pour la diffusion de l’entretien motivationnel (AFDEM)

– Comment penser la dynamique d’un groupe d’ETP ? Quelles particularités ?

Les programmes d’ETP impliquent souvent un travail en groupe. Ce choix, extrêmement pertinent, rajoute un niveau de complexité. Un groupe n’est pas une collection d’individu mais un collectif qui partage une même réalité psychique et s’inscrit dans une dynamique qui répond à diverses caractéristiques (interactions, émergence de normes, d’une structure informelle, existence de buts collectifs communs, d’émotions et de sentiments collectifs, équilibre interne et système de relations plus ou moins stable avec l’environnement).

Réguler un groupe, c’est essayer d’être en phase avec sa vie affective, l’atteinte des objectifs communs et l’aider à surmonter les obstacles auxquels il est confronté. Comment s’accorder avec cette dynamique complexe quand les membres du groupe souffrent de psychose, dénient leur pathologie et quand les dimensions thérapeutiques et éducatives s’entremêlent ? Cette intervention contribuera à éclairer cette complexité

Laurence Barrer, Docteur en psychologie, enseignante à la faculté d’Aix-Marseille, analyse des pratiques et supervision d’équipes

 

Assurer le « service après vente » de l’éducation thérapeutique

Les « effets secondaires » de l’ETP sur la pratique soignante : comment rester soignant quand on doit être (psycho)éducateur ?

Les soignants, notamment lorsqu’ils travaillent en psychiatrie, sont soumis à deux exigences très éloignées : ils travaillent au plus près de la réalité objective (les soins du corps, les règles et le rythme qui régissent la vie du service, les prescriptions médicales, les démarches administratives, les liens avec le réseau, le manque de lits, les carences de personnel, le planning surchargé des médecins, …) ; dans le même temps, en tant que professionnels du soin psychique, ils ont une fonction clinique d’accueil de la subjectivité du patient, de sa souffrance, parfois de son vécu psychotique, bref, de sa réalité psychique. Cet écart entre leurs fonctions devient un écartèlement lorsqu’ils doivent être « soignants-éducateurs » : comment concilier l’attention portée à la subjectivité du malade, et la posture psycho-éducative qui conçoit les symptômes comme des biais cognitifs à rééduquer ? Autrement dit, comment être à la fois soignant et éducateur ?

Florent Poupart, psychologue clinicien, maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie, responsable du Diplôme Universitaire Soin relationnel en santé mentale, Université Toulouse 2 Jean Jaurès

– Psychose et pathologies associées : les défis de la polypathologie pour l’ETP.

La vulnérabilité des patients souffrant de psychoses ou de pathologies mentales est souvent accrue du fait de pathologies somatiques associées, surajoutant du stress et la nécessité de nouveaux apprentissages importants dans un contexte cognitif souvent altéré. Les actions éducatives pour aider le patient à gérer au mieux ces situations complexes sont donc un réel enjeu. Plusieurs questions préalables se posent : s’agit-il d’une polypathologie ou de comorbidités ? La pathologie psychiatrique est-elle princeps ou apparue secondairement ? L’entourage est-il impliqué ?

En sus des programmes éducatifs spécifiques pour telle ou telle pathologie psychiatrique ou somatique, l’ETP peut offrir une réponse aux patients et aidants concernés, en termes d’apprentissages et de soutiens, en favorisant l’acquisition de compétences transversales (compréhension des intrications et liens entre les maladies et les traitements, prises combinées des traitements), la gestion des facteurs de risque, la prise en compte des déterminants de santé (nutrition, exercice physique, addiction -tabac, alcool-, stress, sommeil), la priorisation des actions de santé, la connaissance du système de soins, le maintien des activités sociales ou professionnelles… Le partage autour du vécu intime de cette complexité est également abordé en ETP, en vue d’une meilleure adaptation.

Le défi de la polypathologie l’est aussi pour les professionnels de santé et les acteurs sociaux sur l’organisation des soins, avec de nécessaires interactions interdisciplinaires autour du patient et des aidants.

Xavier de la Tribonnière, Unité Transversale d’Education du Patient (UTEP) – Hôpital La Colombière, CHU de Montpellier

– L’ETP à l’heure du numérique : quels enjeux pour la relation soignante ?

L’accès et la continuité des soins sont des enjeux majeurs dans le suivi des personnes qui souffrent d’un trouble psychiatrique sévère. La recherche nous rappelle que l’alliance thérapeutique, les équipes mobiles, le soutien dans la résolution concrète des problèmes et l’approche centrée sur le rétablissement facilitent l’engagement des patients dans les soins. Les décisions partagées sont également nécessaires en particulier avec les patients qui ont subi des contraintes ou des expériences traumatiques dans leur trajectoire de soins.

Le numérique a permis l’informatisation des données de soins favorisant ainsi la continuité de l’information entre les prestataires de soins. L’impact des nouvelles technologies sur les soins directs aux patients est lent et rencontre de nombreux obstacles. Les résultats des premières études menées sur des soins étayés par des outils numériques sont pourtant positifs. Le développement d’outils numériques, supports du rétablissement (applications, sites Internet, programmes informatiques), devra être conduit en partenariat avec les patients et favorisera le développement de compétences soignantes. Les programmes d’éducation thérapeutiques devraient permettre aux patients de s’approprier le traitement médicamenteux, de réduire l’auto-stigmatisation, de faciliter la négociation, des décisions partagées et de faciliter l’accès aux interventions efficaces pour réduire les symptômes persistants ou améliorer l’insight. Plusieurs exemples d’outils existants ou en développement seront présentés et discutés.

Jerôme Favrod, infirmier spécialiste clinique, professeur à l’institut et Haute école de Santé La Source (Lausanne) et Alexandra Nguyen, infirmière, maître d’enseignement à l’Institut et Haute Ecole de la Santé La Source (Lausanne), Doctorante en Sciences de l’éducation (Université de Genève)