« Je vous écoute » : comment recevoir la parole du patient ?
Argumentaire
Peut-on soigner sans prendre le temps d’évoquer avec le patient ce qui le préoccupe, l’angoisse, l’agite, sans se poser avec lui pour découvrir ce qu’il a à nous raconter de son vécu, de son ressenti ? Mais comment faire quand nous sommes pris dans le tourbillon du quotidien, quand les tâches à accomplir, forcément dans l’urgence, prennent le pas sur le soin et nous éloignent d’un patient dont on ne perçoit plus que les troubles du comportement ?
S’il s’agit d’abord de créer les conditions d’une écoute active, sait-on vraiment ce qu’écouter signifie ? Au-delà des techniques d’entretien, qu’est-ce que cela engage pour ce « je » qui écoute et l’équipe de soin dans laquelle il travaille ? Le soignant, quel qu’il soit, n’est pas un simple récepteur qui valide les propos d’un patient émetteur. Il est percuté, atteint, touché, par les propos qu’il entend. Comment recevoir cette parole sans timbre, balbutiante, désincarnée, délirante, agressive voire violente ? Comment ne pas se fermer et lui trouver une place en soi ? Comment ne pas être déstabilisé, meurtri surtout quand il s’agit d’un récit troué de fureur et de traumatismes psychiques ? Que faire de l’innommable ? Comment (sup)porter celui qui entrouvre la porte de son enfer intime ?
Il ne s’agit pas seulement d’être le destinataire et le réceptacle de cette parole, comme un contenant passif prêt à tout accueillir. Il faut détoxiquer, reformuler, élaborer, trouver un fil, quelque chose d’un sens possible et partageable. Nul ne peut écouter s’il n’est écouté, voire porté lui-même. C’est le rôle des collègues, de l’équipe, des réunions cliniques voire de la supervision. Un sujet écoute donc un autre sujet, mais c’est un collectif qui contient la parole du patient afin d’éviter qu’elle ne nous déborde.
Table ronde 1
Ce qu’écouter veut dire…
Au-delà des évidences, dans les soins, que signifie écouter ? Etymologiquement, écouter, c’est prêter l’oreille, être attentif. Il s’agit d’une démarche volontaire, d’une pratique active. On s’y prépare, physiquement et psychiquement, et on signifie à l’autre qu’on est prêt à accueillir ce qu’il a à nous dire, que sa parole laissera une trace en nous. Concernant le vécu du patient, nous sommes dans un brouillard que seule sa parole peut dissiper. Comment lui indiquer qu’il dispose d’un savoir sur lui-même et son trouble que nous ne possédons pas ?
Que se passe-t-il quand une personne en souffrance psychique parle ? S’agit-il pour elle de se faire comprendre, entendre, d’influencer le soignant, de partager ses émotions, de les tenir à distance, de « s’entendre dire » ? L’écoute mobilise différents mécanismes psychologiques chez l’écoutant et l’écouté. Comment opère-t-elle ? Que nous apprennent les sciences cognitives ?
Table ronde 2
L’entretien, un écrin pour l’écoute
Formalisé ou non, l’entretien peut être proposé par différents professionnels. Il suppose toujours un cadre qui sert de repères : contexte, lieu, durée et rythme, interactions croisées entre soignant et soigné, objectif, contenu, grille de lecture. Comment ces différents éléments du cadre viennent-ils retentir sur la qualité des échanges ?
Au-delà des techniques mobilisées (reformulation, focalisation, exploration de l’ambivalence, voire dévoilement de soi), le soignant utilise sa propre subjectivité comme instrument de travail en s’appuyant sur les phénomènes de résonance, de transfert, d’empathie et d’intuition.
L’écoute implique de consacrer un temps suffisant au patient pour entendre son histoire (anamnèse), ce qu’il ressent (émotions), ce qu’il pense à propos de ce qui lui arrive (cognitions), des relations qu’il établit avec les soignants (alliance thérapeutique, transfert), des ressources dont il dispose pour se soigner. Il ne s’agit pas seulement de recueillir des données mais de cheminer avec lui pour qu’il soit coauteur de cette séquence de soin tout autant que de sa vie.
Table ronde 3
Quand la parole du patient nous saisit
Quelles que soient ses « compétences émotionnelles », le soignant ne peut pas toujours tout entendre ni accueillir tous les vécus. Chaque soignant a ses points aveugles qui peuvent le conduire à déformer les propos, voire le rendre sourd aux émotions (les siennes, celles du patient). Comment recevoir la colère, le délire, les injures, les menaces de mort et supporter la dépression mélancolique ? Comment accueillir les récits de viols, d’incestes, de guerres sans se sentir flétri, meurtri ? Que renvoyer au sujet qui tente de s’en « délester » ? Comment passer d’un récit à un autre, voire même parfois d’une réalité à une autre, dans le déroulé d’une journée de travail ? Comment le cadre interne du soignant est-il remobilisé par l’entretien clinique ?
S’il appartient au soignant de mettre en travail ses failles, quelle que soit sa théorie de référence, il ne travaille pas seul. Avant d’écouter, il doit pouvoir être écouté, porté émotionnellement par ses collègues et l’équipe soignante. Différents dispositifs d’analyse des pratiques permettent aux soignants d’élaborer collectivement les émotions qui les traversent, de tisser un fil narratif, pour peu qu’ils soient animés par un professionnel suffisamment présent et distancié.
Table ronde 4
« Enfin, on m’écoute ! »
Pour un patient et ses proches il n’y a rien de plus terrible que l’absence de réponse. Répondre ne se limite pas à donner une explication ou une interprétation, il s’agit plutôt de signifier qu’on a intégré ce qui a été dit et parfois d’ouvrir un nouveau point de vue.
Parmi différentes approches, l’Open Dialogue (Dialogue ouvert), met au cœur du processus thérapeutique le dialogue continu, via des « réunions de traitement » entre les soignants, le patient et son réseau social (famille, proches, pairs, enseignants …). Cette « écoute polyphonique » favorise le dialogue entre tous et l’engagement de chacun dans les soins. Quels sont les principes de cette approche de plus en plus utilisée lors des premières crises psychotiques ?
Loin de cette écoute contenante, dans un contexte de manque de soignants, un patient pourrait-il développer une relation thérapeutique avec un agent conversationnel de soutien psychologique (robot social, chatbot) ? Différents travaux montrent en effet qu’un chatbot permet à l’utilisateur d’aborder des sujets qu’il n’oserait pas exposer avec une personne réelle en face-à-face. L’écoute « humaine » a-t-elle encore un avenir ?
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