Quand la parole de l’autre nous saisit
Quelles que soient ses « compétences émotionnelles », le soignant ne peut pas toujours tout entendre ni accueillir tous les vécus. Chaque soignant a ses points aveugles qui peuvent le conduire à déformer les propos, voire le rendre sourd aux émotions (les siennes, celles du patient). Comment recevoir la colère, le délire, les injures, les menaces de mort et supporter la dépression mélancolique ? Comment accueillir les récits de viols, d’incestes, de guerres sans se sentir flétri, meurtri ? Que renvoyer au sujet qui tente de s’en « délester » ? Comment passer d’un récit à un autre, voire même parfois d’une réalité à une autre, dans le déroulé d’une journée de travail ? Comment le cadre interne du soignant est-il remobilisé par l’entretien clinique ?
S’il appartient au soignant de mettre en travail ses failles, quelle que soit sa théorie de référence, il ne travaille pas seul. Avant d’écouter, il doit pouvoir être écouté, porté émotionnellement par ses collègues et l’équipe soignante. Différents dispositifs d’analyse des pratiques permettent aux soignants d’élaborer collectivement les émotions qui les traversent, de tisser un fil narratif, pour peu qu’ils soient animés par un professionnel suffisamment présent et distancié.
– Ecoute et travail émotionnel, Dominique LHUILIER, Pr de psychologie du travail, Pr émérite au Centre de recherche sur le travail et le développement, Cnam
Activité essentielle du travail soignant, l’écoute est risquée. La sensibilité à la souffrance d’autrui relève en effet d’une compréhension empathique, d’une forme de compassion et d’une disponibilité psychique à l’autre. Loin des injonctions à garder une « bonne distance », les résonances émotionnelles et affectives supposent un cadre d’expression et d’échanges professionnellement et institutionnellement reconnu. La solitude face aux patients expose par ailleurs les soignants aux risques d’un travail psychique qui viserait à relever leur seuil de sensibilité aux épreuves émotionnelles liées au soin. Un travail sans affects ? Dans ce contexte, de quelles ressources le professionnel dispose-t-il pour que l’émotion reste au service de l’activité, pour qu’elle ne vienne pas la paralyser ou la dévoyer ? Ces ressources, nécessaires à la régulation des contraintes psychiques de travail, peuvent être déclinées au niveau individuel, social et organisationnel.
– « J’ai plus d’érection, c’est vos cachetons ! », Valéry CLOUET, infirmier en pratique avancée et santé mentale, spécialiste clinique en santé mentale, conseiller en santé sexuelle
Les patients suivis en psychiatrie ont un accès à la sexualité moindre que la population générale. Les causes peuvent être multiples, mais les effets secondaires des psychotropes restent au premier plan et sont fréquemment évoqués par le patient pour justifier l’arrêt du traitement. Pour les soignants, cette plainte, difficile à recevoir, fait l’objet de très peu d’évaluation. A partir d’un cas clinique et d’une analyse de la littérature, nous évoquerons cette difficulté à entendre et les accompagnements possibles de la plainte sexuelle des usagers.
– Face au récit traumatique, comment et où trouver une autre voie ?, Priscille DE THE, psychologue clinicienne à Parcours d’exil pour la plateforme Résonances, dispositif de soutien pour les professionnels travaillant pour les demandeurs d’asile, animatrice de groupes d’analyse des pratiques professionnelles
Le récit traumatique… celui qui nous effraie, nous laisse sans voix et comme intérieurement figés, sidérés. Celui dont on aimerait qu’il s’arrête. Celui qui paradoxalement nous fascine aussi, nous happe et nous retient. Et puis il y a la parole traumatique, l’horreur racontée de façon neutre qui laisse un goût étrange. La parole vide d’affects ou qui en est excessivement pleine. Comment entendre cela, comment rester sans sombrer soi-même ? Peut-on passer du saisissement au dessaisissement ? A partir de vignettes cliniques, l’une d’un homme souffrant d’un stress post-traumatique, l’autre d’une professionnelle blessée par un récit d’horreur, nous explorerons ensemble les voies que peuvent être le corps et l’image pour retrouver du souffle, de l’espace, du mouvement.