« Il faut le recadrer !: » : quelles limites pour quels soins ?
Certaines limites qui bordent l’espace thérapeutique favorisent le soin, d’autres se dressent comme des obstacles qui figent les relations et génèrent d’inutiles
frustrations, conflits et malentendus. La limite doit rester au service du soin et non l’inverse.
Confrontés à des comportements qui attaquent le lien à l’autre ou l’ignorent, les soignants ont parfois du mal à se positionner et à savoir
quelle attitude adopter. Ils peuvent alors se retrancher derrière un règlement rigide. Comment différencier ce qui relève de la loi, du règlement et de la
coutume ? Qu’implique ce repérage en termes de soins ? Comment faire cohabiter cadres thérapeutique et juridique ?
Si certains patients ne tolèrent pas la moindre frustration, d’autres réagissent à des dysfonctionnements institutionnels. La clinique nous
invite à différencier privation, castration et frustration. Elle nous apprend à repérer avec chaque patient ce qui fait « bord » pour lui. Savoir poser des limites
c’est être capable de dire « non » à ce qu’il fait mais « oui » à ce qu’il est.
Comment acquérir cette compétence et entretenir cette souplesse relationnelle ? Avec quels types d’outils ? Comment créer et maintenir une ambiance qui
permette de poser des limites à un patient tout en lui manifestant un accueil inconditionnel ?
« Recadrer », n’est-ce pas finalement instaurer un espace de parole et de prise de décision commune qui engage chaque partenaire du soin ?
Le programme détaillé de l’édition 2019
Le cadre thérapeutique, un écrin pour les soins ..
Qu’appelons-nous « cadre thérapeutique » ? Pour les uns, il s’agit d’un ensemble de règles de conduites que les patients doivent respecter, pour les autres, il désigne en plus un temps, des rythmes, un lieu, un seuil, des valeurs partagées, des personnes, un objectif de soin et une ambiance. Lorsqu’un soignant parle de « recadrer » un patient, à quels concepts et pratiques cliniques se réfère t-il ? Sans se dénaturer, le cadre thérapeutique doit néanmoins toujours s’inscrire dans le cadre réglementaire.
« Le chêne et le roseau » : du cadre réglementaire au cadre thérapeutique, Florent Poupart, psychologue clinicien, maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie, responsable du Diplôme Universitaire Soin relationnel en santé mentale, Université Toulouse 2 Jean Jaurès
Les enjeux du cadre sont au cœur du quotidien des soins. Quelle attitude adopter lorsqu’un patient transgresse une règle ? Faut-il le laisser faire (pour respecter sa fragilité et favoriser l’alliance thérapeutique, au risque d’entretenir son sentiment de toute-puissance) ? Faut-il le sanctionner (pour « l’éduquer », au risque d’y laisser sa fonction soignante) ? Faut-il le « recadrer » (pour nommer la règle, au risque de lui faire perdre sa valeur en ne l’appliquant pas) ? En considérant le cadre comme une peau, et non comme un carcan, nous pouvons alors nous appuyer sur son élasticité, c’est-à-dire sur sa capacité à se déformer, sans jamais perdre sa fonction de limite. Comment dès lors déployer la posture soignante pour que le cadre constitue un véritable écrin pour les soins support de la fonction thérapeutique de la relation ?A partir de concepts issus de la clinique psychanalytique et d’exemples puisés dans le quotidien des soins, nous aborderons quelques pistes pour mettre en travail cette question.
Entre flexibilité et contenance… ou l’art subtil de ne pas rompre, Elodie Gille et Julie Cubells, infirmières, Unité pour malade difficile, Centre hospitalier de Montfavet.
Les Unités pour Malades Difficiles (UMD) accueillent des patients relevant de soins psychiatriques sans consentement et dont l’état de santé requiert des mesures particulières. Une fois le cadre légal posé, comment faire coexister protocoles et sécurité avec thérapeutique et soins ? Même si ces soins sont imposés, seul le patient peut s’en saisir. Comment créer du lien et ouvrir des espaces où peuvent advenir des opportunités qui permettent au patient de « tout dire mais pas tout faire » ? C’est tout l’enjeu du cadre thérapeutique. Entre limites, contenance, flexibilité, cohésion et réflexion d’équipe… Illustration à partir d’une histoire clinique.
Quand le cadre thérapeutique ne fonctionne plus.
S’il faut « recadrer » un patient, c’est peut-être que le cadre de soin qui s’impose à tous (y compris aux soignants), ne fonctionne plus. Les règles peuvent être excessives et frustrer (voire priver) inutilement les usagers, mais elles peuvent aussi être inexistantes et générer de l’angoisse. Dans un cas comme dans l’autre, cette « maladie » du cadre produit des effets délétères qui résonnent différemment selon la pathologie. Quels sont ces effets ? Comment les repérer ? Quelles conséquences sur le rétablissement des patients et l’alliance thérapeutique ?
Approches psychopathologiques du rapport au cadre ? Didier Bourgeois, psychiatre Centre Hospitalier de Montfavet
Le cadre est un élément fondateur du processus thérapeutique. Reste que chaque patient a un rapport au cadre qui renvoie à son histoire personnelle et en particulier à son enfance. L’être humain crée en effet à la fois sa route (le cadre), son véhicule dans la vie (lui), le but de son voyage (le sens de la vie) et l’énergie nécessaire à ce voyage (le narcissisme). Pourquoi avons-nous besoin d’un cadre ? Comment certains patients mettent-ils à mal le cadre thérapeutique en lien avec leur parcours. Illustrations à partir d’exemples cliniques (psychose, toxicomanie, diogène…).
Emotions et prise de décision dans le « recadrage », Nicolas Georgieff, professeur de psychiatrie, chef de service, Centre Hospitalier du Vinatier
Les pratiques de restriction de liberté en psychiatrie, d’isolement et de contention en particulier, soulèvent une question à la fois universelle et importante : celle des logiques et déterminismes de la prise de décision. Et surtout, compte tenu de leur contexte très particulier qui associe urgence, dynamique de groupe et pouvoir, elle interroge le rôle des émotions négatives dans ce processus de décision et notamment la peur – autant chez le patient que chez les professionnels. Ce contexte tend en effet à amplifier l’influence émotionnelle dans la décision, malgré le garde fou des règles et protocoles. Nous nous appuierons sur différents modèles de compréhension des mécanismes de la prise de décision et du rôle des émotions dans celle-ci, pour explorer les logiques des pratiques dites en psychiatrie de « recadrage ».
Les défaillances du cadre : de l’absence à l’omnipotence Michel Combret, cadre supérieur de santé en psychiatrie, sociologue
Tous les groupes humains s’organisent autour d’un cadre qui fixe des règles, des normes. Dans les structures de soins, notamment en psychiatrie, ce cadre est essentiel pour fonder l’alliance thérapeutique. Il fixe les règles de vie en commun, donne des repères (temporels, spatiaux, relationnels), définit les rôles de chacun. Il est une référence, en tant que tiers, dans les relations soignants-soignés. Il autorise la relation et lui donne des limites. Mais, pour être efficace et toléré, il doit être, à la fois, suffisamment stable pour donner des repères, pour faire naître un sentiment de sécurité et suffisamment souple pour accueillir l’expression des symptômes du sujet.
Parfois, le cadre est défaillant et ce, pour deux raisons opposées. Omnipotent, trop rigide, il induit des rapports de force, des contre-attitudes chez les soignants, des transferts négatifs. Dans ce cas l’agressivité des soignés traduit la plupart du temps l’impérieuse nécessité, « vitale », de sortir d’un « carcan étouffant ». Absent ou trop flou, il renforce l’angoisse des patients, favorise la « dispersion psychique », il n’est pas en mesure de contenir les projections.
Comment prévenir cette « maladie » du cadre ? L’organisation des soins en psychiatrie doit favoriser un équilibre entre la fonction « maternante » et la fonction « paternante ». Les soignants « suffisamment bons » doivent aussi accepter d’être « suffisamment mauvais »
Comment « jouer » avec le cadre de soin pour qu’il résiste aux attaques ?
Appliqué à la lettre, le cadre devient un carcan qui emprisonne et compromet le soin. Dépositaire d’un esprit et de valeurs, il habite la psyché des soignants qui doivent le faire vivre. Dans le respect des différences, comment jouer avec ce cadre ? Comment le rendre suffisamment malléable pour qu’il s’adapte aux situations imprévues et résiste aux attaques inévitables ? En travaillant l’ambiance ? En se décentrant ?
« Etre autour pour être avec… » ou comment « soigner l’ambiance » de l’unité de soin, Michel Miazza, infirmier chef, Fondation de Nant (Suisse)
Lors d’une hospitalisation, quand, pour un patient tout déborde (délire, idées suicidaires, agirs), être en lien avec l’autre ne va pas de soi… Dans ces situations, Il faut d’abord l’apaiser physiquement et psychologiquement pour lui permettre ensuite d’entrer plus activement dans un processus thérapeutique. Mais au-delà des prises en charges « classiques », l’organisation de l’environnement quotidien de l’unité de soins constitue potentiellement un formidable levier thérapeutique. La qualité première de l’ambiance d’un service n’est pas d’être « bonne » ou « mauvaise », mais thérapeutique. Elle doit pouvoir résister à la destructivité, accueillir le négatif pour le transformer, en offrant un environnement sécure et bienveillant. Comment les soignants peuvent-ils, à travers des soins collectifs et individuels, des actions concrètes et symboliques potentialiser les effets thérapeutiques de cette ambiance. Comment l’institution peut-elle, à travers son organisation, soutenir les équipes en valorisant ces prestations ?
Une fenêtre dans le cadre, Christophe Malinowski, infirmier, Centre hospitalier Gérard Marchant, Toulouse
Le cadre… Fondation, filet, guide… contrainte ? Autoriser une cigarette la nuit malgré l’habituelle interdiction, laisser à une jeune patiente suicidaire l’écharpe de son amoureux ou encore servir un petit déjeuner en fin de matinée à un patient levé tard… Entorses inacceptables ou nécessaires souplesses ? Difficile dans le tumulte d’un service de réagir aux attaques du cadre, d’affirmer notre place de soignant. Heureusement parfois, dans l’équipe, une infirmière expérimentée ose bousculer les habitudes et les protocoles pour adapter le soin au plus près du patient et ainsi créer du lien. Alors dis-moi, Germaine, chère vieille collègue, quelle est ta « méthode » ?…
Comment rejoindre un patient qui sort du cadre avec la communication hypnotique ? Dr Philippe Aim, psychiatre, psychothérapeute, directeur de l’institut UTHyL formateur en hypnose et thérapies brèves
L’on entend souvent le mot « recadrage » en institution comme l’idée de remettre le cadre, ramener nos règles quand le patient en sort. En hypnose et thérapies brèves, recadrage est entendu sous l’angle « photographique » du terme : changer le cadre d’observation. La même scène, vue sous un autre angle est totalement différente. Certains patients sortent justement du cadre attendu : au lieu de formuler une demande ils dévident une plainte infinie, échappant à toutes nos manœuvres ; certains n’ont carrément pas de demande mais sont envoyés là par un autre ; certains sont agressifs voire opposants ; plaintifs voire agaçants ; passifs voire dépendants… Et si, plutôt que de les recadrer pour qu’ils rentrent dans nos cases plus familières, nous apprenions à recadrer la situation ? Considérer la même réalité sous un autre angle pour arriver, même quand cela semble difficile, à rejoindre le patient là où il est pour le mobiliser ? Et si on pouvait le faire avec des outils bien plus simples qu’on ne le pense, pertinents dans le champ de la santé mentale et avec de beaux résultats en termes relationnels avec les patients ?
Comment élaborer un cadre de soin avec les usagers ?
Le cadre entretient et protège l’espace du soin. Chaque patient doit y trouver sa place et y loger sa parole. Comment intégrer directement les usagers dans les décisions qui concernent l’organisation des soins et l’accompagnement ? Comment s’organiser pour qu’une négociation de ce cadre soit possible ? Avec quels outils (directives anticipées, plan de crise conjoint, espaces de paroles…) ? Quelle est la part du collectif dans cette co-construction ? Comment en évaluer les effets ?
Comment « recadrer » les soignants : l’exemple du plan de crise conjoint, Pascale Ferrari, infirmière spécialiste clinique au Département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et maître d’enseignement au Laboratoire d’enseignement et de recherche en santé mentale et psychiatrie et Caroline Suter, paire praticienne en santé mentale, assistante de recherche au Laboratoire d’enseignement et de recherche en santé mentale et psychiatrie, Haute Ecole de la Santé La Source (HES-SO), Lausanne (Suisse)
Si les pratiques centrées sur le rétablissement sont aujourd’hui recommandées, leur mise en œuvre dans les services de soins n’est toujours pas systématiques. L’autodétermination de l’usager, le partenariat et la décision partagée sont les valeurs intrinsèques et indissociables du rétablissement. Non seulement elles structurent le cadre thérapeutique, mais elles questionnent également le soignant dans sa posture et son expertise. Comment mettre en oeuvre concrètement cette participation de l’usager ? Le plan de crise conjoint permet d’accompagner cette évolution en donnant des repères. Fruit d’une négociation entre usagers, professionnels, voire proches, ce plan d’action est élaboré de manière anticipée pour prévenir et mieux gérer une crise future en tenant compte des préférences de l’usager en termes de soins et de traitements.
Passer du cadre de soin au projet de rétablissement Laurent Defromont, psychiatre, chef de pôle, Mélanie Clément, médiatrice de santé pair et Olivier Devaux porte parole des usagers, EPSM Lille Métropole
Intégrer le concept de rétablissement dans la pratique quotidienne oblige les soignants à passer d’une position paternaliste de « sachants » à une position « d’accompagnants » des personnes dans leur projet de vie où les soins ne sont qu’une possibilité. Soignants et soignés doivent donc adopter une posture différente. C’est au cadre de soin de s’adapter à l’individu et non l’inverse. La transformation des pratiques et des attitudes professionnelles passe donc par l’implication dans les équipes de soins « d’experts d’expérience », d’usagers porte-paroles de la santé mentale et de médiateurs de santé pair. Comment mettre en œuvre ces évolutions et en quoi renforce-t-elles l’efficience du dispositif de soin ? Expérience d’un pôle de psychiatrie Lillois.
Les actes des 5es Rencontres Soignantes en Psychiatrie sont publiés dans le numéro 244 de janvier 2020 de Santé mentale
intitulé « Il faut le recadrer! » penser les limites.
Ils sont disponibles sur le site de la revue Santé mentale .