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22/07
2021

« Le patient est le scénariste, je suis le cadreur, et nous coréalisons ensemble son scénario »

Au terme d’un appel à projet baptisé « Parce que c’est nous ! », pour postuler à la résidence de création des Rencontres de la jeune photographie internationale, la Villa Pérochon, centre d’art contemporain photographique » et la DRAC Nouvelle-Aquitaine, ont retenu la candidature de Frédéric Stucin. L’artiste photographe, en résidence de création/médiation jusqu’en décembre 2021, propose aux patients du service de psychiatrie de l’hôpital de Niort (rencontrés à la « P’tite Cafète ») de réaliser leur « vrai portrait rêvé » comme il l’explique dans ce texte.

« En immersion au sein de « la P’tite Cafète », lieu de convivialité au sein de l’hôpital, accessible sur prescription, l’artiste ira à la rencontre des patients acteurs incontournables de ce projet… »

Pour réfléchir au projet « Parce que c’est Nous ! », j’ai écouté radio Pinpon. Je suis tombé sur l’interview de Cosette, qui raconte comment elle peint ses tableaux. Cosette dit qu’elle procède « d’après nature ou d’imagination », et le plus souvent des deux en même temps. J’ai été marqué par cette expression, qui m’est restée en tête. J’ai pensé que, pour moi, la photographie était exactement cela : une création à la fois d’après nature et d’imagination. Une rencontre du réel et de l’imaginaire, où le second est parfois plus vrai que le premier.

Sur radio Pinpon, j’ai écouté les beaux poèmes de Chloé, j’ai été bouleversé par « La Poupée », et j’ai retenu ces phrases dans celui qui s’intitule Vérité : « Après tout, la vérité est-elle vraie ? Elle appartient à chacun de nous. Chacun créé sa propre histoire, sa propre façon de voir les choses. » En continuant à naviguer à travers les podcasts, j’ai eu l’impression de retrouver souvent cette idée: cette vérité qui mélange imagination et réalité. Quand Luc se raconte à travers une cigarette, quand Yves remplit une chambre où «plus rien ne se ressemble» de «tant de souvenirs, tant de vies passées ».

C’est en me laissant porter par ces enregistrements qu’est venue mon idée pour ce projet : proposer aux patients rencontrés à « la P’tite Cafète » la réalisation de « vrais portraits rêvés ». Qu’on pourrait aussi appeler « portraits porte-rêves ». Ou, pour le dire peut-être plus simplement, d’autoportraits au sens large, et libre. Le projet s’appelle « Parce que c’est nous ! » et c’est à cette intention que j’aimerais coller. En proposant à chacune et chacun de créer, ensemble, une photographie qui les raconte. Une photographie qui dit de soi ce que l’on a envie de dire de soi, à ce moment-là. Bien sûr, il peut éventuellement s’agir de se présenter en chair et en os. Mais déjà rien que la façon de poser, l’expression, l’attitude, les habits, le cadrage, visage ou silhouette lointaine, sont des choix qui modifient le réel, qui lui insufflent une part d’imaginaire. Et un autoportrait, cela peut être aussi un élément de son environnement proche, plus ou moins mis en scène. Une chambre, comme dans le poème d’Yves, ou bien les oiseaux au balcon de Luc. Cela peut être un objet, un décor, une nature morte, comme la robe blanche posée sur une chaise qu’Aurane décrit dans l’oeuvre de Tina Enghoff, et qui lui fait imaginer la disparition du corps au profit de l’esprit.

Pour créer ces images, j’envisage une répartition des rôles inspirée du cinéma. Le patient est le scénariste, je suis le cadreur, et nous coréalisons ensemble son scénario. En plusieurs séances, avec une seule personne à la fois, au rythme de chacun. Pour ceux qui le souhaitent, je peux apporter des pistes d’inspiration, des exemples, un éclairage sur l’art de l’autoportrait dans l’histoire de la photographie. Pour d’autres, mon aide peut consister davantage en des conseils sur l’utilisation de la lumière, le cadrage, la distance. Contrairement aux portraits que je fais pour la presse, où je vais vite et dirige, l’idée au contraire est de prendre le temps et de m’adapter, en m’appuyant sur l’accompagnement des soignants. De mettre à la disposition des patients mes connaissances artistiques et mes compétences techniques. De les accompagner dans la création de cette image qu’ils ont envie de proposer au regard de l’autre.

Une phrase dans le dossier de présentation du projet m’a particulièrement frappé : « Les personnes malades psychiques sont aussi à mobilité réduite et souvent empêchées par leurs troubles et le regard de l’autre pour circuler librement dans la ville. » Le pari de ce projet est que ce regard extérieur ne soit plus un empêchement, mais au contraire l’occasion d’un partage. Que l’objet du regard redevienne le sujet qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. Que les patients donnent à voir au lieu d’être regardés.

« La résidence « Parce que c’est nous! » vise à poser « l’acte de création entre patients et artiste » dans une démarche de valorisation des personnes. Elle est ouverte à tous les artistes photographes sans distinction de genre, de nationalité, d’âge ou de pratique, disposant d’un projet de création en lien avec le milieu de la santé mentale. »

Les clichés réalisés seront exposés dans le cadre des Rencontres de la jeune photographie 2022 et dans l’espace Jean-Burguet de l’hôpital de Niort. Il est également question de les publier.