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20/10
2021

Prendre soin de l’humain aujourd’hui

Quels sont les constituants de l’accueil en psychiatrie ? Une disponibilité, une écoute, une compréhension ?… Cette valeur centrale dans la discipline est pourtant aujourd’hui la grande négligée, selon le psychiatre Bernard Odier, qui s’exprimait sur ce sujet aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie le 27 septembre.

En psychiatrie il s’agit de (prendre soin de) l’humain dans l’homme, un humain en souffrance, parfois défigurée par la douleur.

Quel étrange et beau mandat est confié à la psychiatrie par la société.

Quel défi aussi. « Soigner les méchants » écrit Michel David sur le soin psychiatrique en prison. « In anima vili » me disait Lucien Bonnafé nous écoutant détailler une psychopathologie rebutante.

Soignants, psychiatres et autres, embarqués dans cette aventure se penchent sur des détresses indicibles, accueillent des souffrances innominées, et ça marche !

Car l’expérience renouvelée du soin enseigne la puissance méconnue et régulièrement oubliée de l’accueil, ce merveilleux antidote à l’esseulement, à l’isolement par la douleur, à l’enfermement dans la souffrance, à la tentation de la violence.

Certes, l’accueil n’a pas été testé dans des essais cliniques versus placebo, un placebo qui serait un accueil courtois et policé, mâtinée d’une distance convenable.

Pourtant l’accueil, comme disposition soignante de base, quiescente quand elle n’est pas cultivée, a des mécanismes d’action mieux connus que ceux des antidépresseurs.

Dans la dépression l’accueil agit directement sur les causes de celle-ci. Perte d’un être cher quand elle complique un deuil, souffrance d’origine sentimentale quand elle est provoquée par une rupture, perte d’estime de soi quand notre crédit chez les autres s’effrite ou s’effondre, la dépression a toujours à voir, de près ou de loin, avec le rejet par l’autre ou avec son indifférence.

Raisonnons. Quel est l’antonyme (le contraire d’un synonyme) de rejet ?

L’extraordinaire efficacité thérapeutique de l’accueil

L’antonyme de rejet, c’est accueil.

D’où l’extraordinaire efficacité thérapeutique de l’accueil dans les situations de détresse, de crise, de souffrance subintrante, de menaces d’explosion violente.

L’accueil n’est pas la panacée pour tout. Mais c’est l’ingrédient numéro un. L’ingrédient essentiel. Les Centres d’accueil et de crise se développaient avec bonheur dans les années 1980.

Le temps manque ici pour décrire l’ensemble des taches qui ont détourné les psychiatres de cette mission de base.

Quels sont les constituants de l’accueil ?

C’est d’abord une disponibilité. Tous azimuts. Pour recevoir, comme pour aller rencontrer.

C’est une réceptivité. Les femmes en particulier peuvent enseigner ce que la réceptivité à d’actif.

C’est une écoute. Ah le pavillon de l’oreille, quelle conque ! Trouver l’oreille d’un soignant, d’un psy, quel soulagement !

C’est une compréhension. Écouter c’est bien, entendre c’est mieux, c’est le tout. Ce n’est pas à la portée du premier venu. C’est le résultat d’un entraînement – qu’on peut appeler formation – prolongée.

Comment apprend-on à écouter ? En découvrant pour soi ce que c’est que de l’être, écouté.

L’accueil enfin, c’est s’entendre dire « Revenez ».

Cette valeur centrale de l’accueil, c’est la grande négligée de la psychiatrie d’aujourd’hui.

Un de mes anciens internes, chef de service dans la vallée du Rhône, a chaque semaine trois consultations de cinq heures pendant lesquelles il voit un malade tous les quarts d’heure. Voudrait-il intensifier le traitement ambulatoire d’un de ses patients amorçant une rechute, il ne le pourrait pas. Comme un chirurgien qui n’aurait pas devant lui les deux heures nécessaires pour mener à bien une opération.

L’ensemble de la population française, Charles Alezrah vient de le rappeler, dispose de Centres médico-psychologiques (CMP) implantés partout à la façon des écoles communales.

Demandons aux responsables locaux (chef de service, directeur d’établissement), régionaux (ARS) et nationaux (responsables ministériels ici présents) de construire et de généraliser une capacité d’accueil en psychiatrie.

D’une part cela allègera la tâche des urgentistes et des SAU, d’autre part et surtout cela satisfera l’exigence éthique des équipes réduites aujourd’hui à sacrifier cette dimension primordiale de leur travail.

Pour que demain l’accueil en psychiatrie soit digne de l’attente des patients et de leurs proches.

Bernard Odier, Psychiatre, Ancien chef de service, ASM-13. Intervention aux Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, 27 et 28 septembre 2021, Table-ronde n°2 « Nouvelles souffrances, nouvelles réponses »