Selon la CME-CHS, le rapport sur l’organisation de la santé mentale est caricatural et stigmatisant
Suite au rapport d’information parlementaire sur l’organisation de la santé mentale, la Conférence des présidents de Commissions médicales d’établissement des Centre hospitaliers spécialisés (CME-CHS) dénonce un état des lieux « qui semble se complaire dans le catastrophisme » et stigmatise les patients et les professionnels.
« Un rapport d’information parlementaire a été déposé par la commission des affaires sociales le 18 septembre 2019 en conclusion des travaux de la mission relative à l’organisation de la santé mentale composée de M. Brahim Hammouche, Président et Mesdames Fiat et Wonner, Rapporteures.
Ce rapport, curieusement dit « rapport Wonner », se présente sous une forme très singulière : un avant-propos du Président de la mission, sur trente pages puis une synthèse suivie d’une centaine de pages des deux rapporteures manifestant leurs désaccords sur bon nombre de sujets pourtant majeurs tels que la place des établissements psychiatriques au sein des GHT, le rôle des centres experts, le développement des référentiels de bonnes pratiques, le moratoire sur les capacités hospitalières, la place des fonds privés et le développement de la psychiatrie lucrative comme si les trois députés avaient sur le sujet trois avis différents.
Rarement un rapport confondant à chaque page les termes de psychiatrie et de santé mentale ne s’était montré si outrancièrement catastrophiste, reprenant à son compte des difficultés connues et des carences maintes fois dénoncées par les professionnels eux-mêmes, sans qu’il ne soit jamais fait mention des démarches constructives actuelles qu’ils réalisent pour y remédier.
Qu’en retenir ? L’organisation du dispositif de prévention et de soins est qualifiée d’intangible depuis les années 60, inefficace et inefficiente. Il en résulterait une prise en charge « catastrophique », la sectorisation serait « un échec »… Le virage ambulatoire est estimé insuffisant alors que plusieurs rapports précédents ont affirmé le contraire ! Aujourd’hui, selon les données de l’ATIH la psychiatrie générale est ambulatoire à 80% et la psychiatrie infanto-juvénile à 90%.
Rien sur le fait que la psychiatrie fut la première discipline à se territorialiser comme s’y engagent aujourd’hui l’ensemble des établissements publics de santé. Aucun rappel historique sur le fait que les Centres Médico-Psychologiques, les Conseils Locaux de Santé et les Projets Territoriaux de Santé Mentale (PTSM) sont issus de la volonté forte des usagers et des professionnels, notamment de la psychiatrie publique. Le rapport se montre particulièrement contradictoire quant à la plus-value qu’apporteraient les PTSM. La proposition qu’il formule de s’en remettre aux Agences Régionales de Santé pour leur pilotage va totalement à contre-sens des attentes des territoires.
Rien sur les efforts faits à partir des dix mesures urgentes du 8 novembre 2018 notamment sur la recherche et la mise en place de la coordination des dispositifs régionaux.
Rien sur le partenariat de près de cinquante ans dans un dialogue constant avec les représentants des patients.
Aucune mention des travaux du Comité national de pilotage de la psychiatrie en décembre 2018 préconisant 3 échelons territoriaux ni de la coordination nationale des dispositifs régionaux de recherche clinique en psychiatrie et santé mentale.
Cette posture de pompier pyromane ne serait qu’anecdotique si elle ne se faisait dans un contexte déjà marqué par de fortes tensions dans les services d’urgences ainsi que dans nos établissements en proie à la chute démographique médicale annoncée.
Notre Conférence n’avait pas attendu ce rapport pour dire le 12 septembre 2018 aux côtés de près de quinze représentations institutionnelles, la psychiatrie en état d’urgence républicaine. Elle avait souligné le besoin que soient confortes les travaux du Copil de psychiatrie installé par la Ministre en 2017, plutôt que celui d’un énième rapport. Le 8 novembre 2018, la conférence portait dix mesures urgentes à mettre en œuvre, dont certaines sont en cours de réalisation et pour lesquelles le travail est engagé.
Comment peut-on faire preuve de si peu de bienveillance à l’égard de l’ensemble des acteurs et de si peu de considération pour leur action au quotidien sur le terrain ? Comment les étudiants, futurs médecins infirmiers etc… pourraient-ils s’engager dans une description si dramatisée de leur futur métier, alors que des postes d’internes en psychiatrie restent vacants comme vient de le montrer le résultat du dernier choix de spécialité 2019. Tout cela pour aboutir à un ensemble de neuf propositions sans réel contenu opérationnel ou d’une confondante évidence.
Une telle caricature de la situation de la psychiatrie dans notre pays n’est pas à l’honneur des auteurs de ce rapport qui ne peut que contribuer à ruiner les efforts faits en faveur de l’attractivité de la discipline et de renforcer la stigmatisation des patients et des professionnels. Tout se passe comme si ce rapport tombait à point nommé pour en finir avec la psychiatrie publique, et dissoudre son organisation dans un dispositif de santé mentale essentiellement ambulatoire, limitant l’hospitalisation aux soins sans consentement, multipliant des équipes toujours plus mobiles, réduisant des psychiatres à des collaborateurs de centres experts délivrant des programmes standardisés de réhabilitation, des infirmiers de pratiques avancées et des psychologues isolés, et ouvrant la voie à la mise en place d’un dispositif de défense sociale aux antipodes de la conception du soin psychique en France et abondamment critiqué en Europe.
Pouvait-on nier plus injustement la réalité de la maladie mentale et la mission de la psychiatrie publique? »
- Un rapport sur l’organisation de la santé mentale qui semble se complaire dans le catastrophisme ou quand on veut noyer son chien… Communiqué CME-CHS, 2 octobre 2019.