Margot Phaneuf, une infirmière…
Le 23 mai 2020, Margot Phaneuf s’éteignait à l’âge de 91 ans, après une carrière exemplaire d’infirmière. Elle avait participé à deux dossiers de Santé Mentale. Nous lui rendons hommage.
Éprouver de la peine à l’annonce du décès d’une femme que l’on n’a jamais vu, avec laquelle on n’a jamais échangé une parole ou même un mail a quelque chose d’étonnant. Et pourtant la nouvelle de la mort de Margot Phaneuf me touche. Quand je vois, pour la première fois, des photos d’elle, quelque chose me trouble. Je trouve qu’elle ne se ressemblait pas. Entendez que la réalité diffère trop de l’image que je me faisais d’elle. Je me dis que nous aurions eu sûrement peu de choses à nous dire, ce qui montre à quel point je peux être stupide parfois. Nous nous sommes dit l’essentiel par articles et livres interposés.
Notre première rencontre
Je l’ai rencontrée via Internet, lors d’une recherche bibliographique qui portait sur les mécanismes de défense. J’avais écrit sur ce thème et je cherchais des références moins psychanalytiques que les miennes. Je suis tombé sur le texte d’une conférence qu’elle avait donnée à Coimbra (Portugal). Elle y présentait les mécanismes de défense utilisés par les malades atteints de cancer. Rien à voir avec la psychiatrie donc. Curieux de voir le chemin qu’elle empruntait j’ai commencé à lire un texte, très pédagogique, riche d’images et de métaphores. Quelle ne fut pas ma surprise de voir qu’elle se référait à la psychanalyse, ce qui n’est pas si fréquent chez les infirmiers anglo-saxons et qu’elle citait mon article vu sur le site Serpsy. Son texte se tenait fort bien et était respectueux non seulement des patients mais également des étudiants auxquels elle présentait une pensée complexe en évitant de leur donner des conduites à tenir et des protocoles tout faits. Une belle rencontre donc comme on n’en fait pas tous les jours. Je suis reparti à mes travaux et elle aux siens.
L’observation clinique en psychiatrie
Je la croisais une deuxième fois autour d’un dossier de la revue Santé Mentale consacré à l’observation clinique en psychiatrie. Très peu d’infirmiers s’y sont intéressés. Margot y publiait un texte très complet, quasi exhaustif : « L’observation en psychiatrie : une compétence à développer » (1). Le titre disait l’essentiel. Un titre programme impossible à réaliser en France, où l’enseignement des soins infirmiers en psychiatrie reste sinistré au grand dam des patients enfermés et attachés. Margot avait réalisé un véritable travail d’orfèvre. Un peu trop complet à mon goût. Sans la moindre place pour du vide. Sa démarche se voulait pédagogique. Chaque étudiant pouvait y acquérir une méthodologie dont il se dégagerait au fur et à mesure de son parcours professionnel. Nous publiâmes son texte, non sans lui avoir demandé de le raccourcir un peu. Elle le fit de très bonne grâce.
Troisième et dernière rencontre
Notre troisième et dernière rencontre s’est faite autour des émotions. Toujours pour un dossier de la revue Santé Mentale sur le vécu émotionnel des soignants. Margot avait écrit un texte intitulé : « Les intelligences émotionnelle et sociale des outils pour la relation ». Nous lui proposâmes donc de le publier. Le texte était à la fois pédagogique et complet. A des années lumières de ce qui peut se lire à destination des étudiants en soins infirmiers en France. Il était comme il se doit trop long pour nos normes éditoriales. Je fus chargé de le couper, Margot, malade, ne pouvant le faire elle-même. Ce fut à la fois un crève-cœur et un bonheur. Il m’est toujours douloureux de couper un texte qui se tient, où les idées s’enchaînent, où l’on sent la présence d’un auteur qui a longuement mûri sa réflexion. Ça relève presque de la castration. J’ai souffert. Comment raccourcir un passage sans en hypothéquer le sens ou sans diminuer sa portée pédagogique ? Ce fut un bonheur d’entrer dans la pensée de Margot, de suivre son déroulé, de cheminer avec elle. J’ai vécu là une proximité que je n’aurais sûrement pas eu lors d’une discussion professionnelle ou d’un échange téléphonique. Elle valida mon travail et son texte comme le précédent contribua puissamment à enrichir notre dossier (2).
Un parcours remarquable
Je ne savais pas que Margot Phaneuf était une référence dans le domaine de la santé, comme le dit sa notice biographique. J’ai appris en découvrant son parcours qu’elle avait acquis une formation universitaire en sciences infirmières, obtenu une maîtrise en éducation et un doctorat en didactique de la faculté de l’Education de Montréal. Elle a rédigé de nombreux ouvrages sur le soin, j’en ai vu passer certains. Elle a créé des logiciels pour la planification des soins, la formation à la pharmacologie et l’évaluation de la performance infirmière. Quelque chose me dit que cet aspect-là de son activité m’aurait moins plu. Elle a travaillé à titre de consultante dans les domaines de la santé et de la formation partout dans le monde et notamment à l’hôpital universitaire de Coimbra. Elle avait même reçu l’insigne du mérite de l’ordre des infirmières et infirmiers du Québec, la médaille du mérite du Conseil interprofessionnel du Québec et l’ordre du Canada, la plus haute distinction civile. Il est vrai qu’en France, pays où l‘on n’honore guère les infirmières, ce genre de colifichets laisse froids ou verts d’envie.
Je ressens de la peine à l’annonce de la mort de cette femme parce que nous avons partagé des pensées, des idées qui ont toutes trait à notre discipline. Nous sommes tous deux issus d’une histoire, d’un champ, d’un objet qui nous a rassemblés et nous a permis de contribuer, chacun à notre façon, au soin. Nous avons pu ainsi dialoguer et apprécier la pensée de l’autre. La discipline, c’est très exactement ça. Et quand je serai aussi mort que Margot, d’autres dialogueront avec nous. Elle avait, comme moi, une très haute idée du soin et de ce qu’il appartient aux infirmières de faire et de construire pour approcher cet idéal.
« Partout où l’infirmière passe, écrivait-elle, elle laisse des traces … l’empreinte de sa compétence, de sa déférence ou de son indifférence. C’est à nous de décider de l’impression que nous désirons laisser. »
Dominique Friard
(1) : « L’observation en psychiatrie : une compétence à développer », Margot Phaneuf, Santé mentale n° 118, mai 2007
(2) » L’intelligence émotionnelle, un outil du soin », Margot Phaneuf, Santé mentale n° 177, avril 2013