Covid-19 : quand les patients ont soutenu les soignants…
Sur le plan des émotions, l’épidémie de Covi-19 a bousculé les soignants comme les patients. Ces derniers se sont montrés particulièrement bienveillants et compréhensifs avec les professionnels. Gurvan Queffelec, Infirmier et étudiant en pratique avancée en Master 1, revient sur le climat particulier dans l’unité durant la crise sanitaire et son impact sur la relation soignant-soigné.
La crise sanitaire a été émotionnellement intense pour les soignants. Mon épouse étant également infirmière, nous avons tous les deux été confrontés au Covid, et à l’inquiétude que cela générait. Pour pouvoir travailler, nous avons dû remettre rapidement nos filles à l’école durant le confinement, ce qui a rajouté de l’inquiétude à celle du travail, et nécessité une attention plus importante à nos enfants. Inquiètes, elles ont accepté la situation sans se plaindre de retourner à l’école… Faire la part des choses et gérer les émotions n’a pas été toujours facile, surtout au début de la crise. Je me suis senti fragilisé, sur le plan personnel et professionnel.
Une « drôle de guerre »
Je travaille habituellement en centre médico-psychologique (CMP). Durant le confinement je me suis porté volontaire pour renforcer l’équipe d’une unité d’entrants. Car malgré l’angoisse, l’envie d’être utile et de soigner était plus forte que tout. J’y ai travaillé quelques nuits et surtout de jour, du matin ou d’après-midi. Cette crise a modifié la temporalité du soin en psychiatrie et déplacé l’inquiétude du trouble psychique vers la crainte du Covid. Nous avons eu peur pour nos patients polypathologiques, qui avaient du mal à respecter les distanciations sociales. Force est de constater que nos services de psychiatrie ont été plutôt épargnés par le Covid. Il régnait alors une ambiance de « drôle de guerre », comme au début de la Seconde Guerre mondiale. Nous étions des soldats mal équipés, attendant la « vague » annoncée… Malgré les troubles psychiques, les patients comprenaient la gravité de la situation, et acceptaient le bouleversement des règles institutionnelles. Des études cherchent à prouver le rôle protecteur joué par certains antipsychotiques (1) vis-à-vis du Covid, mais il faudrait aussi s’intéresser au fait que les patients hospitalisés aient vécu cette période avec calme et compréhension.
Dans ce contexte inédit, soignants et patients éprouvaient une émotion commune : la peur ou l’inquiétude. Personne ne savait de quoi l’avenir serait fait, professionnel et patient partageant cette vulnérabilité.
Une empathie réciproque
Dans la relation de soin, les émotions que nous éprouvons en tant que soignant conditionnent notre empathie. Rodgers précise qu’« être empathique, c’est percevoir le cadre de référence interne d’autrui aussi précisément que possible et avec les composants émotionnels et les significations qui lui appartiennent comme si l’on était cette personne, mais sans jamais perdre de vue la condition du “comme si” ». (2)
Durant cette crise, la relation était devenue totalement empathique et réciproque.
Les patients sont habitués à livrer leurs émotions au quotidien aux soignants, l’inverse n’est généralement pas vrai. Il est même rare que le soignant fasse état de ses émotions, surtout si elles montrent sa vulnérabilité. Avec l’épidémie, le soignant, généralement considéré comme tout-puissant par les patients, est devenu fragile et humain. La relation empathique était réciproque et mutuelle puis intersubjective. Pour Serge Tisseron, « cette empathie n’est plus seulement réciproque. Elle est aussi mutuelle : chacun apporte ce qu’il possède et profite de ce que les autres apportent à la mesure de ses besoins : elle n’est donc pas forcément symétrique. » (3)
Face à cette crise, les positionnements soignants soignés ont été bouleversés. Les dynamiques relationnelles ont évolué et se sont parfois bonifiées.
Prendre du recul…
Pendant la crise, il m’a été difficile d’analyser ces dynamiques. Aujourd’hui, je m’interroge : pourquoi les patients ont été si bienveillants avec nous ? Pourquoi ces patients, parfois si difficiles à accompagner, nous ont soutenus ? Avec du recul, je pense que le partage d’émotions, le ressenti commun face à une situation qui nous dépassait, ont favorisé une relation soignant/soigné de meilleure qualité.
Il est important de connaître son fonctionnement interne et d’explorer ses mécanismes de défenses. Nous soignons par ce que nous faisons, mais surtout par ce que nous sommes.
A paraître sur ce sujet : Dévoilement de soi et alliance thérapeutique, Santé mentale, n°249, juin 2020.
1– Plaze M, Attali D, Petit A-C, Blatzer M, Simon-Loriere E, Vinckier F, et al. Repositionnement de la chlorpromazine dans le traitement du COVID-19 : étude reCoVery. Encephale [Internet]. 29 avr 2020 [cité 11 juin 2020];
2– Simon E. Empathie. In: Les concepts en sciences infirmières [Internet]. 2ème édition. Association de recherche en soins infirmiers; 2012 [cité 10 juin 2020]. p. 168-71.
3– Tisseron S. L’intersubjectivité, clé du processus thérapeutique. Enfances Psy. 3 déc 2014;N° 62(1):67-73.