Soins sous contrainte, des situations de « réanimation psychique »
L’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), où figure une réforme de l’encadrement judiciaire des mesures d’isolement et de contention en psychiatrie, relance le débat sur le sujet. La Fédération française de psychiatrie (FFP) rappelle les situations « extrêmement sérieuses, voire gravissimes » dans lesquelles elles sont mises en place, « pour lesquelles il n’est pas excessif de parler de “réanimation psychique” ». Dénonçant le « déni collectif » qui entoure la discipline, elle réclame des réformes d’ampleur qui ne feraient pas « l’impasse sur la réalité des modalités les plus graves de la maladie mentale ».
La Fédération Française de Psychiatrie constate que les députés ont voté le mardi 27 octobre le projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont l’article 42 relatif à l’isolement et la contention, sans débat de fond. La réforme de la règlementation de l’isolement et de la contention a été élaborée de manière précipitée pour faire suite à la décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020 du Conseil constitutionnel d’annuler l’article 3222-5-1 du Code de la santé publique relatif à l’isolement et à la contention en psychiatrie.
La Fédération Française de Psychiatrie rappelle que les mesures d’isolement et de contention se prescrivent pour de patients hospitalisés sous contrainte, donc en cas de pathologie mentale importante. Il s’agit d’hospitalisation en cas de péril imminent pour la santé de le personne (c’est-à-dire le plus souvent une menace suicidaire imminente et sans pouvoir recourir à la demande d’un tiers) ou en urgence quand il existe un risque grave d’atteinte à l’intégrité de la personne (les situations cliniques sont souvent similaires à celles du péril imminent, mais avec la possibilité de recourir à la demande d’un tiers) ou encore quand les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l’ordre public (risque évident d’atteinte à l’intégrité physique d’autrui). Il s’agit de situations extrêmement sérieuses, voire gravissimes, pour lesquelles, il n’est pas excessif de parler de « réanimation psychique ».
La Fédération Française de Psychiatrie s’étonne dans ce temps pandémique et d’urgence sanitaire où la restriction de la liberté d’aller et venir dans une optique de protection de la santé est admise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 relative à loi d’urgence sanitaire (expression répétée trois fois dans la décision), alors qu’à aucun moment dans sa décision annulant l’article L3222-5-1, il n’a évoqué le fait que les mesures d’isolement et de contention sont prescrites en milieu hospitalier psychiatrique dans le cadre de la protection de la santé. Le prisme exclusif du principe constitutionnel de la liberté d’aller et venir a été choisi au détriment de celui de la protection de la santé, semblant considérer que le champ médical de la psychiatrie n’a rien à voir avec la protection de la santé.
La Fédération Française de Psychiatrie constate, une fois de plus, que la maladie mentale grave fait l’objet d’un large déni collectif, que les psychiatres se voient reprocher des pratiques indignes, proche de la torture et que les hôpitaux psychiatriques sont déconsidérés dans les moyens qui leur sont octroyés, au point que l’état de la psychiatrie est souvent considéré comme catastrophique.
La Fédération Française de Psychiatrie considère que les soins sous contrainte — soins sur décision du directeur d’établissement (SDDE) et soins sur décision du représentant de l’État (SDRE) — doivent être considérés comme des soins intensifs et que l’isolement et la contention peuvent être des mesures thérapeutiques, pas systématiquement de dernier recours, surtout en urgence quand il n’est pas possible de recourir à des mesures alternatives, et lorsqu’elles elles sont utilisées exclusivement à des fins thérapeutiques. Tout autre usage doit être formellement proscrit.
La Fédération Française de Psychiatrie remarque que la restriction de la liberté n’est pas reprochée aux services de réanimation ou chirurgicaux quand un patient est immobilisé pour des soins ou une intervention chirurgicale. La psychiatrie doit être considérée de la même manière : les soins sous contrainte nécessitent des moyens humains et matériels conséquents et requièrent une compétence spécialisée, médicale, paramédicale et administrative (gestion complexe).
La Fédération Française de Psychiatrie demande une énième fois une large réflexion sur la psychiatrie appelant à des réformes législatives d’ampleur et non à des réformettes ponctuelles, insérées de manière « cavalière » dans une loi non spécifique sans faire l’impasse sur la réalité des modalités les plus graves de la maladie mentale. Celles-ci affectent heureusement une fraction minime de la population très majoritairement suivie en ambulatoire qui ne sera jamais hospitalisée et ne connaîtra pas la pénibilité de toute hospitalisation sous contrainte nécessitée par la maladie mentale dans ses expressions les plus graves. Les services accueillant des soins sous contraintes doivent être considérés comme des services de réanimation psychique et de soins intensifs avec les moyens qui en relèvent.
La Fédération Française de Psychiatrie insiste sur le fait que si les mesures d’isolement et surtout de contention peuvent être assimilés à des actes médicaux invasifs (effraction psychique), que si la psychiatrie comme l’ensemble de la médecine et de la chirurgie s’efforce en permanence de diminuer les actes invasifs pénibles ou douloureux, seule une approche rigoureuse des modalités de soins, de l’évaluation des moyens nécessaires et de l’élaboration d’un cadre juridique adapté permettra d’éviter à la psychiatrie la catastrophe souvent dénoncée et de pouvoir privilégier les approches relationnelles au détriment de mesures restrictives.
À moins que la catastrophe soit plutôt du côté de l’impéritie des pouvoirs publics.
Réanimation somatique vs réanimation psychique, Communiqué FFP, 29 octobre, en pdf. Lire aussi le communiqué du 16 octobre, La Haute Autorité de santé, 1re Assemblée législative de France ?, en pdf