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17/03
2021

Quand les violences affectent la mission des soignants

Le rapport 2020 de l’Observatoire national des violences hospitalières (ONVS) (données 2019) recence les atteintes aux personnes et aux biens hors champ des pratiques médicale. 23 780 signalements ont ainsi été recensés pour 451 établissements déclarants. 81 % sont des signalements d’atteintes aux personnes (dont 21 % liées directement à un trouble psychiques ou neuropsychique (TPN). 19 % sont des signalements d’atteintes aux biens (dont 3 % liées directement à un TPN). Les 5 structures et unités déclarant le plus de violences sont :  la psychiatrie (18 %), les urgences (16 %), les USLD/EHPAD (13 %), les unités de soins (9 %) et la médecine (8 %). Cas particulier de la psychiatrie.

La psychiatrie recense 19,4% de l’ensemble des atteintes aux personnes signalées. Parmi ces atteintes 57% sont des violences verbales et 43 % des violences physiques. Le personnel hospitalier est victime dans plus de 8 cas sur 10. Le plus souvent les atteintes sont liées à la pathologie des patients. Cette violence signalée s’exprime dans les unités de soins, les hôpitaux de jour, les CMP, les UMD, moins dans les UHSA.
4 371 signalements ont été déclarés en psychiatrique pour 4 137 atteintes aux personnes et 920 atteintes aux biens (des faits peuvent regrouper cumulativement les deux types d’atteintes). C’est donc une légère augmentation globale du nombre de signalements, tant pour les atteintes aux personnes que pour les atteintes aux biens.
Les professionnels sont investis et conscients de la particularité de cette discipline à laquelle ils sont profondément attachés. Ils sont également conscients de leur exposition et de leur vulnérabilité. En revanche, la perception de la violence n’est toutefois pas la même pour tous. Il apparaît clairement, au regard des signalements recueillis et des visites effectuées, que le seuil de tolérance est différent selon les individus, le type de violences exercées, le type de service, l’ancienneté dans le service, la composition et la cohésion des équipes. Il ressort parfois un sentiment d’échec, d’impuissance et de souffrance dans la prise en charge face à des situations considérées comme très complexes.

Quelques éléments marquants

– L’effet de surprise et la soudaineté de certaines violences peuvent être dues à de nombreux facteurs : pathologie du patient, refus divers qui engendrent contrariétés et « frustrations », qui peuvent aussi s’exprimer ultérieurement, difficulté de vivre en collectivité : relations avec le personnel ou entre patients (inimitiés entre patients, incompatibilité d’humeur, relations sentimentales…),

Les recadrages administratifs effectués par la direction, l’utilisation des pouvoirs de police générale du directeur de l’établissement (respect des « conditions de séjour » comme l’expose le code la santé publique), les recadrages effectués par les médecins et l’équipe d’encadrement et de soignants sont indispensables mais pas toujours suffisants. Un effet d’épuisement ou encore une impression d’impasse peut se faire sentir notamment en cas de comportement violent réitéré.

De fait, la protection des personnels par des dispositifs d’alerte (DATI – PTI) est régulièrement mise en oeuvre dans ces structures en raison de la fréquence des violences. À disposition de tous, ces dispositifs rassurent les personnels et permettent une prise en charge plus apaisée des patients. Ils forment un complément avec notamment les diverses formations proposées à la gestion de l’agressivité verbale et physique qui s’avèrent indispensables pour gérer ces situations et avec ces notions de vigilance et de cohésion déjà évoquées contribuant ainsi à la sécurité. Il est un fait que lors de violences, l’utilisation de ces appareils de sécurité n’est pas toujours aisée et le fonctionnement est parfois défectueux. Les cris, et même l’alerte par le regard ou des gestes permettent alors au soignant de prévenir ses collègues ou le personnel de sécurité. Il arrive que ce soit même un patient qui aille chercher de l’aide.

Les patients connaissent l’existence de ces appareils. On retiendra dans le signalement ci-dessous l’effet provoqué sur la patiente par son déclanchement : perception d’un manque de confiance dans la relation avec le soignant.
 « Une patiente vient à la rencontre d’une IDE en demandant une sortie d’hospitalisation contre avis médical, signature d’une « décharge » proposée. La demande avait déjà été formulée auprès d’un autre soignant quelques instants auparavant. Explication par l’IDE de la complexité de la démarche. Patiente s’agitant de plus en plus (coups dans le bureau, regard menaçant). L’IDE déclenche son DATI, la patiente s’en rend compte et prend cela comme une trahison. Se lève avec menace et commence à écarter le bureau lui barrant le passage. Intervention à temps des autres collègues (opposition, appel du psychiatre et transfert en isolement). »

–  Menace de représailles contre des soignants à leur domicile – Prétexte d’une irresponsabilité pénale. Des patients qui ont eu des relations conflictuelles avec des personnels de l’établissement, soignants ou non, pour toute sorte de raisons (dont la non acceptation d’une décision médicale) n’hésitent pas à menacer ces derniers de représailles à leur domicile et affirmant ainsi connaître leur adresse. Il s’agit d’une méthode d’intimidation ou de pression qui ressort régulièrement dans les signalements en psychiatrie. Si les personnels savent faire la part des choses face à ce type d’intimidation, ils n’hésitent pas à exprimer aussi une réelle inquiétude. Il arrive même que certains refusent de porter plainte par peur de représailles.

Autre caractère spécifique : intimider les soignants en affirmant qu’en raison de leur pathologie psychiatrique, même en cas de violences, ils seront de toute façon considérés comme irresponsables pénalement. Ce type d’intimidation est accompagné très souvent de menaces de mort, de gestes provocateurs et autres manifestations d’hostilité, voire de violences physiques.

– Les problématiques financières avec les majeurs protégés. Des menaces et des violences peuvent provenir de patients sous tutelle ou curatelle qui veulent percevoir leur argent au plus vite ou qui estiment ne pas en avoir reçu suffisamment. Ce manque d’autonomie financière est parfois très mal ressenti. Les jours et horaires d’ouverture ainsi que les conditions de perception sont aussi sources de violence.

– Les incendies, les tentatives et menaces d’incendie. Si la plupart des incendies sont sans conséquence majeure pour les personnes bien que nécessitant parfois des évacuations (pour éviter des intoxications notamment), en revanche on constate une dégradation totale ou partielle des biens : mobilier d’une chambre, notamment le matelas, voire de la chambre elle-même – entraînant dès lors son inutilisation le temps des réparations (avec perturbation du fonctionnement de l’unité) –, toilettes communes, mobilier extérieur (poubelles, etc.), véhicules de soignants pris parfois pour cible également. Ces actes de vengeance ou de malveillance délibérée sont souvent dus à de la frustration et à de la contrariété contre ces personnels ou en raison d’un conflit entre patients, envies suicidaires, etc. Cela crée un sentiment d’insécurité pour les personnels surtout quand c’est un de leur bien qui a été la cible de la violence. On notera encore que la possession d’un briquet n’est pas sans danger, objet qui est très facile à cacher dans une pièce, sur soi et même parfois en soi.

– Des anciens patients qui demandent une hospitalisation immédiate La présence en hôpital est sécurisante pour certains anciens patients (nouvelle période de crise, agitation, mal-être, etc.). Le refus d’une hospitalisation, qu’il désirent souvent dans l’immédiateté, génère une grande contrariété et amène parfois de la violence tandis que le protocole d’hospitalisation demande du temps.

– L’importance de la solidité des matériaux, leur fixation avec sûreté. Les dangers occasionnés en cas de rupture, avoir un matériel adapté. La violence de certains patients au moment d’une crise (force décuplée, insensibilité à la douleur), fait qu’un matériel sans danger dans le cadre d’un usage normal, peut devenir dangereux et blesser.

La volonté de vouloir violenter peut aussi pousser un patient à chercher à se faire une arme avec n’importe quel objet démonté.

Certains signalements font état de l’inefficacité ou de la lenteur de l’efficacité d’un traitement par injection ou non au moment d’une crise de violence. Les soignants doivent alors se protéger avec DATI-PTI ou par d’autre moyens (matelas, etc.), appeler en nombre des renforts en attente de l’apaisement ou de la maitrise du patient.

La violence de patients en crise atteint parfois un tel niveau que l’établissement va faire appel aux forces de l’ordre estimant ne plus avoir les moyens de gérer la situation. Cela est parfois source d’incompréhension et de dissension, les forces de l’ordre pouvant estimer que cette situation se passant dans le cadre d’un soin n’est donc pas de leur compétence.

– Consommation et trafic de stupéfiants. Ils sont source de violences et aussi générateurs d’inquiétude et d’insécurité pour les personnels, de même que pour les patients qui ne cautionnent pas ces usages. Cette insécurité a d’autant plus d’impact sur ces patients victimes que l’établissement constitue pour eux un « asile » (lieu sûr, refuge). Ce n’est alors plus le cas. La détention et l’usage dans ce cadre sont par ailleurs contraires à la législation. Les signalements évoquent bien le fait que cette consommation dérègle aussi le traitement du patient consommateur, nuit ainsi à la relation de soins en confiance avec l’équipe médicale et empêche le patient d’être pleinement dans la réalité. D’anciens patients de l’établissement peuvent en profiter pour trouver une clientèle parfois adepte de ce genre de produits. La fragilité d’autres patients est parfois un facteur facilitant. Des personnes totalement étrangères à l’établissement peuvent aussi être attirées. Ces nuisances ont lieu tant dans le centre hospitalier mais aussi en CMP. Le fait que les établissements psychiatriques s’étendent souvent sur de nombreux hectares est propice à faciliter ces pratiques

– Violences entre patients. D’autres violences sont commises entre patients pour des motifs aussi nombreux que variés. La vie en collectivité et en bonne intelligence n’est pas toujours des plus aisées et des plus faciles à gérer. Elle peut être ainsi la source de conflits larvés ou inconnus des personnels de santé, conflits qui peuvent surgir à tout moment et qui nécessitent de la part des personnels de la vigilance pour les prévenir, les empêcher ou encore pour les arrêter. Ces interventions ne sont pas sans violences contre eux. Les moments collectifs (repas, transmissions, distribution des traitements ou encore activités communes, etc.) sont des occasions facilitant les violences.

– À propos des CMP. Ils font remonter peu de signalements (167 dont 153 atteintes aux personnes et 41 atteintes aux biens), pour autant les quelques signalements déclarés font état de situations difficiles à gérer : menaces, intimidations, violences pour des motifs divers (renouvellement d’ordonnance, traitement, piqûre, crise, question financière, etc.). L’isolement géographique du CMP peut constituer un facteur anxiogène pour le personnel en cas de difficultés. Cohésion et vigilance sont de mise. Des personnels expérimentés y sont d’ailleurs très souvent en poste. Les altercations et violences peuvent avoir lieu également entre patients, par des parents.

 -À propos des UMD. Ces unités ont rapporté 193 signalements (dont 189 atteintes aux personnes et 24 atteintes aux biens), plus que l’an passé. Une crise entraîne des violences physiques souvent très importantes qui nécessitent cohésion, intervention en nombre, rapidité et vigilance des personnels. Une très bonne connaissance de la personnalité des patients est essentielle car il n’est pas toujours facile de percevoir leurs intentions réelles. La soudaineté des revirements de comportement est fortement soulignée ainsi que la frustration dans ce contexte spécifique. Le rappel des règles de la vie en collectivité entre patients et avec le personnel est fréquent. Ce recadrage peut se passer correctement ou parfois dégénérer en menaces et coups.

La prévention et la lutte contre les atteintes aux personnes et aux biens est un enjeu capital pour les établissements de santé, elle entre pleinement dans la gestion des nombreux risques que doivent envisager leurs directeurs, tant ces atteintes affectent la sérénité des conditions de travail et par conséquent la mission de soin. L’ONVS rappelle l’ensemble des impacts négatifs :
– désorganisation des services,
– coût humain (personnel en souffrance, arrêt de travail, sentiment d’insécurité, difficulté de fidélisation, difficulté de recrutement),
– coût financier pour l’établissement mais aussi pour toute la société,
– atteinte a mission de service public (mise en danger de l’accès aux soins et de leur continuité),
– dégradation de la réputation et de l’image de l’établissement.