Organisation à venir des professions de santé : vers une théorie de l »escalier »
Le député Cyrille Isaac Sibille (Modem – Rhône), Secrétaire de la commission des Affaires Sociales, a présenté le 7 juillet dernier son rapport d’information sur l’organisation des professions de santé1, quelle vision dans 10 ans et les pistes pour y parvenir. Il défend une théorie » de l’escalier ». Voici sa synthèse.
Partant de l’absence de consensus quant à l’opportunité ou non de créer une profession de santé intermédiaire, le rapport s’interroge sur les autres leviers à notre disposition pour améliorer la qualité des soins dispensés, offrir aux professionnels de santé une perspective d’évolution de leurs missions ainsi que renforcer la prévention. Il montre que nous ne pourrons pas faire face au vieillissement de la population et à l’explosion des maladies chroniques si nous conservons un système dans lequel la répartition des compétences entre professions médicales et paramédicales est extrêmement rigide et dans lequel encore trop peu de place est faite au travail en équipe et aux délégations de tâches.
Une méthodologie novatrice
L’objectif du rapport n’est pas d’imposer, par le haut, une nouvelle organisation des professions de santé mais bien de consulter l’ensemble des acteurs concernés. La méthodologie adoptée pour la conduite des travaux de la mission est réellement novatrice. Elle combine deux approches : une approche transversale par grande catégorie de professions (une table ronde portant sur les métiers de l’assistance médicale et technique, a, par exemple, été organisée) ainsi qu’une approche par filière (visuelle, auditive, etc.) faisant alors se rencontrer professionnels médicaux et paramédicaux. La plupart des acteurs entendus ont salué cette démarche, indiquant qu’ils avaient rarement tous été, auparavant, mis autour de la même table pour évoquer l’organisation de leur filière.
Quatre axes pour changer la donne
Les propositions contenues dans le rapport sont toutes mises au service d’une vision : la vision de l’organisation des professions de santé que nous souhaitons voir advenir dans dix ans. Celle-ci pourrait s’articuler autour de quatre grands axes :
• La montée en compétences de l’ensemble des professionnels de santé. L’élargissement du champ de compétences d’une profession est trop souvent vu comme la perte de compétences exclusives d’une autre. Le rapport insiste donc sur l’importance d’opter pour une nouvelle approche, qualifiée de logique « de l’escalier », dans laquelle chaque professionnel verrait progressivement son champ de compétences étendu. Pour ce faire, la mission propose d’actualiser les listes d’actes que chacune des professions paramédicales peut réaliser, mais également de faire monter individuellement en compétences les professionnels grâce à la portabilité des acquis. L’octroi d’unités de valeur universitaire pourrait, par exemple, venir sanctionner le suivi d’une formation dans le cadre d’un protocole de coopération, permettant au professionnel de conserver les compétences acquises pour le reste de sa carrière ;
• Le recours à l’exercice en pratique avancée. L’évolution des professions de santé passe par le renforcement de l’exercice en pratique avancée pour les infirmiers (en adaptant le modèle économique de la pratique avancée, surtout en libéral) et par la création d’un tel exercice pour d’autres auxiliaires médicaux, au premier rang desquels les techniciens de laboratoire et les manipulateurs en électroradiologie ;
• Le renforcement des missions de prévention. Le rapport montre que les actes de soins et les missions de prévention doivent être beaucoup plus partagés entre les professionnels de santé. Il préconise de renforcer tout particulièrement les missions de prévention des infirmiers en pratique avancée (IPA) exerçant en libéral et d’étudier l’opportunité de créer une rémunération sur objectifs de santé publique qui leur serait spécifique ;
• Le renforcement du travail en équipe. Le rapport insiste sur l’importance des outils numériques et sur la nécessité d’instaurer de nouvelles modalités de financement plus propices aux collaborations. Doit être plus largement expérimenté le versement de forfaits correspondant à la prise en charge globale d’un patient par plusieurs professionnels.
Des mesures filière par filière
Au-delà des propositions générales, les travaux de la mission ont permis de faire émerger un certain nombre de mesures par filière, sur lesquelles la très grande majorité des acteurs auditionnés, voire la totalité, ont réussi à s’accorder :
– dans la filière visuelle, une expérimentation permettant aux orthoptistes de se voir déléguer davantage de tâches par les ophtalmologistes gagnerait à être mise en œuvre dans les territoires où la densité d’ophtalmologistes est faible ;
– dans la filière auditive, les audioprothésistes pourraient jouer un rôle plus important au sein de structures médicales, tout en gardant à l’esprit la nécessité de séparer les actes de prescription et les actes de vente pour les dispositifs d’audioprothèses ;
– dans la filière de la santé mentale, une meilleure coordination entre les professionnels est possible. Trois expériences de terrain pourraient utilement inspirer d’autres territoires : il s’agit des dispositifs de soins partagés mis en place dans les Yvelines Sud, à Créteil et à Toulouse ;
– dans la filière du soin, la coopération entre aides-soignants et infirmiers doit s’accroître, tout particulièrement dans le secteur libéral, pour assurer le virage domiciliaire et faire face au vieillissement de la population. Le rapport préconise ainsi de permettre à des aides‑soignants de travailler sous statut libéral, et non plus seulement salarié, au sein de cabinets d’infirmiers libéraux et sous la responsabilité de ces infirmiers ;
– dans la filière bucco-dentaire, l’ensemble des acteurs appellent de leurs vœux la création d’un statut d’assistant dentaire de niveau II, permettant de larges délégations de tâches, auquel les assistants de niveau I pourraient accéder après une certaine durée d’expérience et une formation ;
– dans la filière de l’anesthésie, les IADE pourraient être davantage reconnus dans le code de la santé publique et leurs compétences élargies, dans le cadre des protocoles de coopération, à d’autres champs que l’anesthésie (notamment aux unités d’accès vasculaires, aux urgences, ou au post‑opératoire) ;
– l’ensemble des professionnels intervenant auprès des enfants gagneraient à être mieux coordonnés. Pour cela, plusieurs pistes peuvent être étudiées, parmi lesquelles le développement de l’exercice des infirmières puéricultrices en ville et l’élaboration d’axes « santé de l’enfant » au sein des CPTS, intégrant la protection maternelle et infantile (PMI) et la santé scolaire.
- Compte-tenu des délais impartis et du nombre de professions concernées, la mission n’a pu investiguer les problématiques de l’ensemble des professionnels de santé. Le rapporteur a centré ses travaux sur les professionnels paramédicaux du livre III de la quatrième partie du code de la santé publique.