« Mon métier d’ergo a de beaux jours devant lui ! »
Ergothérapeute depuis une vingtaine d’années, Gaëlle Riou défend son métier et sa place en psychiatrie. Trouver la stratégie
« occupationnelle » la plus adaptée, pour remettre en mouvement un individu au plan physique et psychique, la stimule et la passionne.
Adolescente, Gaëlle Riou souhaite s’engager pour son pays, pour « l’autre », pour « barouder » aux quatre coins du monde, à l’aventure, mais aussi pour une certaine idée de la discipline et du collectif, sans parler de l’attrait de l’uniforme ! Elle veut intégrer le service de santé des armées mais… Un problème de santé détruit son rêve. « Et maintenant ? ». Vers quelle orientation se tourner ? Par hasard, elle répond à une petite annonce qui propose « d’encadrer un camp de vacances pour adultes handicapés ». « Cela m’a parlé, car le handicap je le vivais, empêchée de faire ce que je voulais de ma vie. » Gaëlle découvre le handicap moteur, la force de vie de ceux qui en souffrent et l’adaptation constante dont ils font preuve dans leur vie quotidienne. « L’idée du “faire avec” et du dépassement d’obstacles m’apparaît clairement. Tout autant que les aides techniques qui permettent d’y parvenir et bien au-delà. Ça résonne en moi. Avec mon handicap invisible, je fais partie de ce monde, je le comprends et je sais surtout que j’ai quelque chose à y faire… »
« Je serai ergothérapeute »
Le baccalauréat en poche, Gaëlle démarre sa formation « d’ergo » pour trois années d’étude. Agir positivement sur l’autonomie, l’individualité, l’estime de soi et la confiance de la personne en situation de handicap la motive. En deuxième année, un stage en psychiatrie, à la Clinique de la Borde, près de Blois, est un révélateur. « Je découvre une psychiatrie ouverte, qui donne toute sa place au patient en tant que personne, lui reconnaît une capacité à être responsable et agir pour la collectivité. L’expérience d’une relation soignant-soigné juste, pleine de respect et d’humanité, me permet de comprendre comment je veux habiter mon rôle. » Ses stages suivants, notamment ceux effectuées en centres de rééducation et réadaptation, lui laissent un goût d’inachevé, avec le sentiment de n’être parfois que dans la « réparation physique ». « Le besoin de considérer la personne dans sa globalité, à la fois corps et esprit, dans un environnement singulier, est fondamental dans ma vision du métier ». Ergothérapeute, elle sera un « artisan de liberté » comme le définit l’Association nationale française des ergothérapeutes (Anfe, 1) dans laquelle elle va ensuite s’engager activement.
Se battre pour exister
Diplômée en 1998, c’est une évidence : elle choisit d’exercer en psychiatrie. Quelques vingt années plus tard, c’est aujourd’hui son terrain d’expertise. « Je me suis nourrie de toutes les expériences acquises ici et là, en services d’hospitalisation adultes, en unités ouvertes et fermées, en structures ambulatoires, mais aussi auprès d’enfants polyhandicapés. La formation continue m’a ouverte à de nouvelles approches autour de l’occupation comme facteur de santé et d’équilibre. Cela n’a pas été toujours évident car notre métier manque de visibilité et de reconnaissance. Il est encore jeune, notre décret de compétence date de 19862 et la réforme des études enseignant l’approche centrée sur l’occupation et le diagnostic en ergothérapie de 2010. Cette profession souffre souvent d’amalgames entre activité et animation, atelier et jeu, occupation et médiation, et parfois de malentendus entre les professionnels des différents champs. J’ai donc dû souvent me battre pour exister au sein d’une équipe soignante, faire entendre mon point de vue et mes propositions thérapeutiques, découlant de mes observations et analyses, issues de mon raisonnement clinique ».
Gaëlle se souvient d’une certaine souffrance à devoir sans cesse faire ses preuves dans un secteur psychiatrique cloisonné où elle peine à faire reconnaître son intervention. Cinq ans après l’obtention de son diplôme, elle envisage même de quitter ce métier. Elle se lance alors dans un master de psychologie clinique, persuadée « qu’avec un vrai titre, elle sera enfin entendue ». Elle ne lâche cependant pas le terrain professionnel pour autant, exerçant alors en Martinique, puis à Fleury-les-Aubrais. En intégrant en 2007 le service d’hospitalisation en psychiatrie adulte de Versailles, elle retrouve la confiance grâce à un médecin qui lui donne de multiples occasions d’exercer pleinement son métier. Elle décroche son titre de psychologue clinicienne en 2011 mais choisit de rester ergothérapeute, plus précisément de réinvestir cette fonction en l’enrichissant de ses connaissances de psychologue et d’une rigueur scientifique. C’est dans cette dynamique qu’elle commence à accueillir des stagiaires, encadrer des mémoires et s’engager dans un ambitieux travail de communication sur la profession, notamment à travers l’écriture collective du Livre blanc sur l’ergothérapie en santé mentale3. « Faire connaître l’ergothérapie aux autres soignants me tient à cœur pour que nous puissions tous mieux travailler ensemble dans l’intérêt du patient ».
« Le mot occupation s’intègre pleinement dans la démarche des ergothérapeutes, qui considèrent la personne dans sa globalité, au-delà de ses incapacités…«
L’activité bien choisie
Parmi les nombreuses médiations proposées aux adultes hospitalisés, il y en a une que Gaëlle s’interdisait : le tricot. « J’y étais carrément hostile, cela me ramenait à ma mère, véritable pro en la matière et moi, malhabile, je me sentais nulle en apprentissage de la maille ! Pourtant, quand la psychiatre du service me suggère de proposer cette activité de médiation à une patiente psychotique “attirée par le panier débordant de pelotes de laines et qui demande à tricoter”, je ne dis pas non. C’est d’autant plus difficile car ma mère vient de décéder. Cette patiente, par ailleurs mère en détresse, a, elle aussi, des souvenirs de tricotage avec sa mère adoptive. Je doute de ses capacités à se concentrer sur une telle activité, mais elle réussit à se mettre à l’ouvrage, à tisser du lien avec moi, à retricoter maille à maille une partie de son histoire et à entrevoir la possibilité du tricotage d’un autre lien avec son fils. Son état clinique s’améliore et moi je renoue avec le tricot ! » En ergothérapie, une activité « bien choisie » et inscrite dans une stratégie globale peut enclencher un processus thérapeutique.
Depuis février 2019, c’est à Dreux, en unité d’hospitalisation pour adolescents, que Gaëlle poursuit l’aventure. « Avec les ados en souffrance, j’avance en terrain inconnu. C’est passionnant car rien n’est écrit à l’avance. A l’heure de la rencontre, puis du suivi au travers des activités proposées, tout reste possible, et à construire. J’aime partager avec eux ce chemin vers la quête de soi, avec des médiations qui soutiennent l’expression et la confiance en soi. »
Vers l’enseignement…
Du chemin, Gaëlle en a parcouru, toujours prompte à défendre son métier et la place qu’il doit occuper dans le système de soin et plus particulièrement en psychiatrie. Elle saisit toutes les occasions pour valoriser son engagement et montrer que l’ergothérapie est une profession dynamique, y compris pendant le confinement. A la rentrée 2021, elle interviendra dans le cadre du premier master en ergothérapie4 qui s’ouvre à Créteil.
« La voie de la recherche en sciences de l’occupation s’ouvre enfin dans notre pays et ça c’est vraiment une très bonne nouvelle », s’enthousiasme-t-elle. Gaëlle enseignera notamment le modèle de l’occupation humaine (MOH)5 , encore peu connu en France et qu’elle a à cœur de promouvoir ; un modèle qui considère autant les habiletés de la personne que les composantes de sa motivation et les caractéristiques de son environnement, au-delà des symptômes. « La science de l’occupation nous fournit des outils de mesure validés pour évaluer l’efficacité de l’ergothérapie, l’inscrivant ainsi dans une pratique fondée sur les preuves. Elle nous donne aussi l’opportunité d’ouvrir nos compétences à de nouveaux champs d’intervention. Notre métier a un grand potentiel et de beaux jours devant lui ! »
Bernadette Gonguet, journaliste
Ce portrait est à retrouver en pages 10/11 de la Revue Santé mentale d’octobre, n°261.
1– Voir https://anfe.fr/
2– Décret n°86-1195 du 21 novembre 1986 fixant les catégories de personnes habilitées à effectuer des actes professionnels en ergothérapie.
3– Livre blanc sur l’ergothérapie en santé mentale, Anfe, septembre 2016.
4– Master santé parcours recherche, gestion de projets et pratiques professionnelles en ergothérapie (RG3PE), Université Paris-Est Créteil.
5– Riou Gaëlle, Science de l’occupation et ergothérapie en psychiatrie, pp. 65/69, Santé mentale, août 2017.