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7/07
2022

Dépasser une vision centrée sur l’isolement et la contention

La liberté d’aller et venir, comme droit inaliénable de la personne humaine, repose sur des dimensions philosophiques et éthiques. La promotion de cette liberté, au sein des établissement sanitaires et médico-sociaux, a fait l’objet d’une conférence de consensus de la HAS en 2005 (1). Reste qu’il est important pour les professionnels de première ligne de disposer d’outils qui leur permettent a minima d’éviter cette restriction de liberté en repérant ce qui y concourt.

Au Royaume-Uni, le Restraint Reduction Network (2) propose une définition originale et opérationnelle des interventions restreignant cette liberté. Celle-ci permet de dépasser la focalisation actuelle sur les pratiques d’isolements/contentions évoquées dans la récente actualité réglementaire en psychiatrie (3).

Comprendre les pratiques restrictives pour mieux en réduire l’usage

Les pratiques restrictives (de la liberté d’aller et venir) sont des interventions utilisées pour restreindre la liberté de mouvement d’une personne, qu’elle l’accepte ou pas. Selon les normes du Restraint Reduction Network (2), ces pratiques peuvent-être classées en quatre catégories opérationnelles :
– les interventions physiques : lorsqu’un contact physique est établi pour limiter ou empêcher les mouvements d’une personne
– les interventions environnementales : lorsqu’une personne est confinée dans une pièce ou dans un espace spécifique pour l’éloigner des autres ou pour l’empêcher de partir
– les prescriptions chimiques : lorsqu’une personne reçoit des médicaments prescrits pour réduire certains comportements
– les interventions mécaniques : lorsqu’un outil est utilisé pour limiter ou empêcher les mouvements

Dans ce contexte, les pratiques d’isolement/contention ne représentent qu’une facette d’une problématique plus large qui ne se limite pas au champ de la psychiatrie ou aux décisions purement médicales. Celle-ci s’étend à un ensemble plus diversifié de lieux qui accueillent des personnes fragilisées (par un problème de santé mentale, une situation de handicap, lors d’un parcours en soins généraux). Toutes proportions gardées, elles sont aussi utilisées lors du parcours scolaire de l’élève ordinaire, par exemple lorsque le personnel décide de maintenir un ou des élèves lorsqu’une bagarre éclate.

Nouveau cadre, nouvelles réflexions

Ce nouveau cadre invite à plusieurs réflexions :
– La personne contrainte peut avoir le sentiment de manquer d’influence, de contrôle, de choix et de liberté, ce qui peut se traduire à l’extrême par un sentiment de dépersonnalisation. Les pratiques restrictives créent ou renforcent des vécus traumatiques chez les personnes qui les subissent (4). Il faut donc les identifier pour viser à en supprimer l’usage, afin de prévenir cet impact traumatique.
– Lorsque cela n’est pas possible, les pratiques restrictives doivent être limitées et considérées comme des approches de dernier recours, signant un échec thérapeutique. Le seul objectif est d’assurer la sécurité de chacun, de façon proportionnée au risque, pendant le temps le plus court possible et d’une manière la moins restrictive possible. Chaque équipe doit baser son projet de soin ou d’accompagnement sur ces principes.
– Par ailleurs, si on souhaite limiter l’usage des mesures restrictives de liberté, il faut mesurer correctement les données issues de ces interventions, ce qui ne peut se faire sans une bonne définition du concept.

Les solutions existent !

Ces éléments incitent surtout à réfléchir à des solutions plus globales, au-delà de la baisse des mesures d’isolement/contention qui en constitue la partie la plus saillante. Une revue de la littérature scientifique et des échanges avec des experts internationaux (5) nous renseigne sur le fait qu’une réduction du recours aux pratiques restrictives passe par un ensemble de stratégies spécifiques qui incluent : l’implication du leadership et l’utilisation des données dans la stratégie de réduction, la formation des équipes, des approches de soin et d’accompagnement personnalisées, l’implication des usagers et de leur famille et des outils de débriefing efficaces pour soutenir l’amélioration continue des pratiques.

De fait, lorsqu’une organisation de santé, du social ou de l’éducation est concernée par les interventions restrictives, elle doit s’appuyer sur ces stratégies spécifiques qui ont fait leurs preuves dans différents pays. Ces stratégies feront prochainement l’objet d’un article de fond dans la revue Santé Mentale.

Yves Peiffer
Psychologue, Directeur de la pratique clinique et du développement
Crisis Prevention Institute
95 rue la Boétie
Paris, 75008 France
Tél. : 08 05 38 53 47
frcontact@crisisprevention.com

1– https://www.has-sante.fr/jcms/c_272394/fr/liberte-d-aller-et-venir-dans-les-etablissements-sanitaires-et-medico-sociaux-et-obligation-de-soins-et-de-securite
2– Créé à l’initiative du Crisis Prevention Institute (CPI) en 2012, le RRN est un organisme caritatif indépendant, qui regroupe des organisations engagées dans la réduction du recours aux pratiques restrictives et coercitives dans les secteurs sanitaire, social et de l’éducation. Ses objectifs sont multiples. Ils recouvrent notamment l’importance de partager des ressources, outils et connaissances scientifiques et cliniques sur la réduction du recours aux pratiques restrictives. Il définit aussi des normes de formation nationales et des références internationales qui s’appliquent à toutes les formations qui comportent une composante d’intervention restrictive.
3– Loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique.
4– Les méthodes de contention en psychiatrie : État de l’art. A. Leboucher, C. Fleury, juillet 2021, p.34-37 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/contribution_asmp_chairephilosophiehopital.pdf?TSPD_101_R0=087dc22938ab200032f01e24e209252455795822e1cae0ea8e8a6c674f9c0e8a1977b797bde5b85308055e6ec71430002dba519fb4e38dc026f321ecfd48c2a13d2e67c380f400a25384586bda38876e758b6b5933d41cb747843b7ce8e15f6d
5– Huckshorn, K. A. (2005). Six core strategies to reduce the use of seclusion and restraint planning tool. National Association of State Mental Health Programme Directors.

© Crédit photo Françoise Peslherbe, qui a illustré le n°260 de Santé mentale