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16/09
2022

Les USIP : le chaînon manquant d’une psychiatrie déboussolée

En juillet dernier, 13 associations et syndicats signaient un communiqué de presse pour demander un moratoire sur l’ouverture des USIP, et la mise en place d’une « mission associant notamment les représentants des patients et des familles ». Bien que la démarche semble légitime et l’intention louable, le titre « Les USIP : les symptômes de la dérive d’une psychiatrie sans boussole » ainsi que les arguments utilisés, participent d’une stigmatisation de la psychiatrie dans son ensemble et de la désignation d’un bouc-émissaire en particulier (les USIP). Un éclairage objectif et une explication s’imposent. réaction de Mathieu LACAMBRE, Psychiatre Hospitalier, filière de psychiatrie légale du CHU de Montpellier.

Pour mémoire, les USIP sont apparues dans les années 90 dans le prolongement de l’encadrement de la politique de secteur (décret n°86-602 du 14 mars 1986) et du fonctionnement des UMD (arrêté du 14 octobre 1986). C’est justement parce qu’il manquait un maillon essentiel dans le parcours de soin de certains patients que des dispositifs intersectoriels sont nés à l’initiative de soignants, « pour recevoir, pour des séjours limités, des patients ‘agités et perturbateurs’ dont la prise en charge est provisoirement contre-indiquée dans les unités d’hospitalisation des secteurs, mais qui ne relèvent pas pour autant d’un service pour malades difficiles » (guide de planification en santé mentale de décembre 1987) et plus tard pour compléter l’offre de soins des UMD qui apparaissait en inadéquation avec certains besoins (rapport Massé, 1992).

Ce sont des équipes de secteurs d’établissement psychiatrique qui ont élaboré des projets médico-soignants intersectoriels autour d’une prise en charge psychiatrique intensive, intégrée dans un parcours de soin. Ainsi l’Unité Psychiatrique Intersectorielle Départementale (UPID) de Cadillac voit le jour en 1991 pour accueillir des patients nécessitant une prise en charge adaptée, à la jonction entre le secteur et l’UMD (1). l’Unité pour Malades Agités et Perturbateurs (UMAP) de Nice, voit le jour en 1993 pour les même raisons avec une préoccupation particulière, liée à l’éloignement de l’UMD la plus proche, altérant les liens avec les personnes ressources et les équipes de secteur. L’USIP de Montpellier voit le jour en 2004 afin de garantir un accueil possible hors chambre d’isolement des personnes sous écrou, qui étaient systématiquement admis en isolement dans les unités de secteur.

Continuité des soins, proximité, dignité des patients, relais et articulation entre des dispositifs d’exception (UMD, UHSA) et le secteur psychiatrique sont les principes fondateurs des USIP qui se sont associées en 2005 au sein de l’ANDUSIP (Association Nationale Des Unités de Soins Intensifs en Psychiatrie) (2).

Ainsi, réduire le soin psychiatrique en USIP au « recours privilégié à l’enfermement, à la contention et à l’isolement comme principe thérapeutique » c’est méconnaitre leur fonctionnement. Affirmer que « ces dispositifs s’autoprévalant de soins intensifs n’ont aucun équivalent à l’étranger » c’est nier l’existence d’USIP à travers le monde (depuis 1972 au Royaume-Uni, 1973 aux USA) (3), d’une importante littérature scientifique (4,5) et académique (6,7) et les travaux de nombreuses sociétés savantes dans la rédaction des standards de prise en charge pour les PICU (Psychiatric Intensive Care Unit) (8) ou enfin l’existence d’ouvrages internationaux de référence sur les soins intensifs de psychiatrie (9).

En effet, en médecine, comme en psychiatrie, certaine situation clinique relèvent d’un soin intensif nécessaire, adapté et proportionné, comprenant des interventions techniques avec des moyens ajustés et une surveillance renforcée.

La psychiatrie « à la française » fonde sa pratique sur les effets de la rencontre et le développement d’une relation de soin. Le recours intensifs aux soins et aux soignants n’implique pas systématiquement la contrainte intensive sur le patient ! Les équipes soignantes d’USIP développent des compétences et des habilités relationnelles, des savoir clinique, pharmacologique et psychopathologique, mais aussi des savoir-faire technique (désescalade, chambre d’apaisement, médiations…) et enfin des savoir-être autour de la posture du soignant, qui permettent autant que possible d’éviter le (dernier) recours à la coercition physique. Développer ces compétences au sein des USIP n’enlève rien au secteur. Au contraire, la transmission et le partage de tous les savoirs vers l’équipe de secteur (dont la rédaction du plan de gestion de crise) permettent un enrichissement mutuel.

De plus, les professionnels exerçant en USIP sont non seulement aguerris à la gestion clinique de situation de crise, dans le respect des droits des usagers, mais aussi aux procédures médico-administratives complexes impliquant des interactions efficientes, respectueuses du secret médical (ARS, Préfecture, police, gendarmerie, avocat, magistrats, administration pénitentiaire, mandataires judiciaires, personne de confiance, conjoint, famille…). La HAS (certification) et le CGPL (visite et contrôle) n’ont pas remis en question l’existence ou le fonctionnement des USIP existantes, soulignant au contraire leur opportunité et la qualité de leur fonctionnement (10).

Mais « une psychiatrie sans boussole » contaminée par l’habitus sécuritaire (11) pourrait effectivement détourner les USIP de leur mission, pour combler non pas le chainon manquant d’un parcours de soin, mais l’incapacité d’un système de santé à accueillir et soigner des patients complexes, en les enfermant dans une impasse qui s’appellerait « USIP ». L’offre de soins psychiatrique ne peut s’envisager que de manière systémique en considérant l’ensemble des dispositifs de recours et d’accès aux soins encadrés par la loi, avec une égale répartition sur l’ensemble du territoire.

Considérer l’ensemble des USIP et le principe même de leur existence comme les « symptômes de la dérive d’une psychiatrie sans boussole » c’est méconnaître l’histoire de notre système de santé, dénigrer le travail quotidien de professionnels dévoués au contact de patients en crise et nier l’opportunité d’une diversification de l’offre de soin dans la complémentarité et l’articulation des dispositifs (12). Dispositifs de soins intensif de psychiatrie qu’il est urgent de préciser, de structurer, de soutenir, de diffuser, d’accompagner et d’encadrer avec la reconnaissance de sa légitimité et de son utilité dans notre système de santé.

Mathieu LACAMBRE, Psychiatre Hospitalier, filière de psychiatrie légale, CHU Montpellier

Références bibliographiques :

Le Bihan P., Benazzouz M., Floris E., Gérard H. L’unité psychiatrique intersectorielle départementale: l’expérience d’une unité de soins contenante en Gironde. Inf Psychiatr. mars 2005;81(3):243‑53.
Deguillaume A.Les unités de Soins Intensifs Psychiatriques en France : Etude descriptive sur leurs missions, leurs modalités de prise en charge et leur intégration dans le réseau de soin. Thèse. Université de Bordeaux, 2017.
Le Bihan P., Esfandi D., Pagès C., Thébault S., Naudet J-B. Les unités de soins intensifs psychiatriques (USIP) : expériences françaises et internationales. Médecine et Droit, septembre 2009;98-99:138-145.
Goldney R, Bowes J, Spence N, Czechowicz A, Hurley R. The psychiatric intensive care unit. Br J Psychiatry. 1985;146(1):50–54.
Bowers L, Jeffery D, Bilgin H, Jarrett M, Simpson A, Jones J. Psychiatric Intensive Care Units: a Literature Review. Int J Soc Psychiatry. 1 janv 2008;54(1):56-68.
Ragonnet L. Etat des lieux des Unités de Soins Intensifs Psychiatriques en France. Thèse – Université de Caen; 2009.
Belabre C. Place des Unités de Soins Intensifs Psychiatriques (USIP) dans la prise en charge des patients médico-légaux : étude descriptive des profils des patients admis à l’USIP de Cadillac en 2019. Thèse. Université de Montpellier 2020.
Departement of Health, The National Association of Psychiatric Intensive Care Unit, Royal College of Psychiatrists. National Minimum Standards for Psychiatric Intensive Care in General Adult Services. 2014 juin.
Beer D., Pereira SM., Paton C.- Psychiatric Intensive Care – Cambridge Medecine, 2011.
CGPL. Rapport de visite du 3 au 7 février 2020, pôle psychiatrique du centre hospitalier universitaire de Montpellier (Hérault).
Bourdieu P. Le Sens Pratique. Ed. de Minuit, Paris, 1980.
Le Bihan P., Pagès C., Naudet J-B, Esfandi D., Roure L., Weiss P. Place des unités de soins intensifs psychiatriques (USIP) dans le dispositif de soins. Ann Méd-Psychol Rev Psychiatr. mars 2009;167(2):143-7.