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25/11
2022

Des violences en milieu de santé impactées par la crise sanitaire

Le Rapport 2022 de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) traite des violences commises en 2020 et en 2021 en raison du contexte particulier de la crise sanitaire laquelle a eu un fort impact sur le fonctionnement des établissements sur ces deux années, rendant logique une analyse commune, sans comparaison possible avec les autres années.

Il est rappelé que les violences signalées à l’ONVS ne concernent pas que des faits de « pure délinquance » commis exclusivement à l’encontre des personnels de santé (on parlera alors de violences externes). En effet, l’Observatoire prend en compte l’ensemble des violences commises dans un cadre relationnel entre toute personne fréquentant un établissement ou y résidant. Ces violences peuvent être dues à tel ou tel ressenti, comportement, pathologie, trouble cognitif… L’intérêt de ce rapport, entre autres, est d’analyser l’ensemble de ces manifestations, les auteurs, les causes et les conséquences. Il propose en conclusion un ensemble de mesures que chaque établissement peut s’approprier en fonction des violences qu’il connaît.

Ce rapport 2022 passe en revue deux années de crise sanitaire due au Covid-19 (2020 et 2021) et illustre parfaitement ce « contexte d‘extension des incivilités et des violences« , un phénomène loin d’être propre au seul secteur de la santé.

L’ONVS a recensé : 
- en 2020 21 623 atteintes aux personnes et aux biens réparties ainsi : 17 598 atteintes aux personnes - 4 025 atteintes aux biens dont 2 056 signalements répertoriaient les deux types d’atteintes cumulativement, essentiellement des violences accompagnées de dégradations. 
- en 2021 21 600 atteintes aux personnes et aux biens réparties ainsi : 17 756 atteintes aux personnes - 3 844 atteintes aux biens dont 2 272 signalements répertoriaient les deux types d’atteintes cumulativement, essentiellement des violences accompagnées de dégradations.

Des effets négatifs multiples

  • La violence verbale (insultes, outrages, menaces physiques, menaces de mort). Les multiples signalements qui remontent de toutes les structures, unités et spécialités montrent combien cette violence génère des impacts très négatifs chez les personnels de santé, lesquels la subissent parfois de façon quasi-quotidienne. Cette violence verbale dégénère parfois en violence physique ou l’accompagne.
  • La violence en raison de la crise sanitaire : ce focus insiste particulièrement sur les impressions et réactions des personnels et des patients/accompagnants, tandis que, pour d’autres violences en raison de cette crise, l’Observatoire a préféré les évoquer dans diverses parties du rapport.
  • La violence signalée par les SSIAD, HAD et les SMUR.
  • D’autres aspects sont également davantage développés, ainsi en ce qui concerne les vols à l’intérieur des établissements, ceux qui touchent aux matériels de protection contre le SARS-CoV-2, les violences volontaires sans arme sur les personnels et les menaces et violences volontaires avec arme (surtout celle par destination) sur les personnels.

« Ce ne sont pas que des personnes aux comportements délinquants ou dans un état second qui sont auteurs de ces violences, mais aussi n’importe quel citoyen, parfois inquiet, anxieux ou souffrant ».

Comme l’expriment les personnels dans les extraits de signalements qui ont été relevés (toute structure ou spécialité confondue), cette violence, qu’elle ait ou non un caractère de délinquance ou d’incivisme, qu’elle soit due ou non à des personnes au discernement altéré ou souffrant d’un handicap produit les mêmes effets négatifs :

Sur les personnels
– « Angoisse de faire les soins ; frustration ; sensation de mal faire les soins »,
– « Stress participant à l’épuisement des professionnels et démoralisation du personnel »,
– « Sentiment d’avoir été agressé gratuitement dans l’exercice de ses fonctions »,
– « Sentiment de lassitude face à la récurrence de la violence dans le service », « Saturation »,
– « Sentiment de défaut de soutien »
– « Atteinte psychologique (stress, cauchemar), difficulté d’évacuer la scène et de plus en plus de mal à se rendre à son poste », « Soignants choqués et inquiets », « La personne a été frappée des regards de haine à son encontre et a ressenti une très forte humiliation », « Je me suis sentie salie, humiliée »,
– « Sentiment d’insécurité, trouble de la tranquillité du service
»

Sur les autres patients et témoins des faits
– « Stress pour tous les autres patients », « Autres résidents choqués et apeurés »,
– « Ensemble des patients incommodés », « Sentiment d’insécurité
»

Sur le fonctionnement du service
– « Désorganisation dans la prise en charge du patient et des autres patients »,
– « Désorganisation du service : mobilisation de l’ensemble du personnel présent au détriment de la prise en charge des autres résidents, laissés sans surveillance »,
– « Défaut de PEC [prise en charge] et non-respect du projet de soins et du projet de service »,
– « Perte de temps et mise en danger pour les agents dans un contexte de charge de travail élevée ; plus de maîtrise sur le reste du service »,
– « Mobilisation chronophage de l’équipe médico paramédicale entière »,
– « Non-respect du projet de soins et du projet de vie de la personne
».

Certains services, en raison de leur patientèle, seront davantage concernés par des violences faites aux personnes (que ce soit à l’égard du personnel soignant ou entre patients). C’est le cas pour la psychiatrie, les urgences, la gériatrie, la médecine, les unités de soins, les services de soins de suite et de réadaptation, les services de soins aux patients détenus, les soins au domicile du patient. Des lieux où les tensions liées à des inquiétudes en rapport avec la maladie ou bien à des faits directement liés à une pathologie sont très présents. D’autres lieux seront plus touchés par une délinquance d’appropriation ou des dégradations (bureaux et vestiaires, parking, laboratoire, pharmacie).
Les violences verbales sont bien plus importantes en 2021 qu’en 2020 quasiment pour l’ensemble des services, structures et unités, tandis que moins de violences physiques ont été signalées. En psychiatrie, ce rapport violences verbales, violences physiques est de :
– en 2020 : 56% (4 254)/44% (3 307) pour un total de 7 561 faits de violences ;
– en 2021 : 62% (4 878)/38% (3 001) pour un total de 7 879 faits de violences.

En ce qui concerne les déclarations de violences verbales et physiques en psychiatrie et en gériatrie, bien que différentes dans l’expression, ces déclarations sont souvent liées à la pathologie des patients/résidents. Les établissements de psychiatrie reçoivent également de personnes hospitalisées sans leur consentement, principalement des patients en crise. Si la majorité de ces patients ne sont pas dangereux, certains présentent un risque accru de violence. Les addictions (alcool, stupéfiants) majorent ce risque et rendent les rapports plus difficiles avec les professionnels et entre patients. Dans ce contexte les établissements de santé mentale sont confrontés à des violences spécifiques.

Toutes victimes confondues, les atteintes aux personnes déclarées à l’ONVS ont généré :
en 2020, 4 583 jours d’arrêt de travail sur 2 210 signalements mentionnant les arrêts de travail, 532 jours d’incapacité totale de travail (ITT) sur 1 875 signalements mentionnant l’ITT.
en 2021, 4 111 jours d’arrêt de travail sur 1 962 signalements mentionnant les arrêts de travail, 860 jours d’incapacité totale de travail (ITT) sur 1 749 signalements mentionnant l’ITT.
Dans le cadre des atteintes sur les personnels, l’ONVS tient à faire ressortir davantage l’importance et la gravité des violences volontaires sans arme ainsi que celle des menaces et violences volontaires avec arme, que les auteurs soient pleinement conscients ou non de leurs actes et qu’ils soient accomplis ou non dans le cadre d’une violence de délinquance.

« Déclaration de l’éducatrice spécialisée : le patient refuse de manger en chambre alors qu’il est très
agité, insultant et agressif physiquement. En présence de ma collègue, nous tentons de lui expliquer notre décision. Il se montre inaccessible et sans que je m’y attende, il se jette sur moi, ma collègue essaie de l’arrêter, il me met un coup de tête sur la lèvre supérieure, touchant aussi l’incisive gauche. » (Psychiatrie)

En psychiatrie, gériatrie et en MAS, il arrive que les personnels soignants, pour apaiser un conflit entre patients pendant ou à la suite du repas, soient menacés par les auteurs à l’aide d’un couteau ou encore d’une fourchette.

De l’analyse des signalements, on peut répartir les auteurs de violences en quatre catégories :
– la violence de personnes aux comportements délinquants, personnes marginales ou dans un état second (sous emprise manifeste d’alcool ou de stupéfiants), qui agissent le plus souvent dans ce rapport de violence et de force,
– la violence de « M. et Mme Tout-Le-Monde », celle de l’incivisme, qui semble le plus marquer les esprits en raison d’un contexte sociétal marqué par l’individualisme, l’impatience, le contournement de la règle. Ce n’est pas propre au monde de la santé, tous les secteurs d’activité de la société rendant un service à la population,
– la violence de personnes souffrant d’un trouble psychique ou neuro-psychique (TPN) altérant plus ou moins le discernement,
– la violence entre ou par des personnels de santé.
Cette classification permet ainsi de bien cerner les causes et motifs des violences, et dès lors, de mieux adapter la prévention et la lutte contre les violences. Il est rappelé que, quel que soit l’auteur, ces diverses violences produisent les mêmes conséquences.

« Ce matin à 6h40 pendant les transmissions, un patient rentre dans la salle de soins, impose
d’avoir ses cigarettes. Nous lui disons d’attendre la fin des transmissions pour avoir son tabac. Le patient
s’énerve et devient menaçant, insultes toutes l’équipe. “Grosse sal***ˮ, “m***eˮ […]. » (Psychiatrie)

L’ensemble de ces chiffres ne sont pas forcément représentatifs des actes de violence dans les établissements. En cause : « les établissements n’ont pas forcément communication par les agents victimes de violences, non seulement du fait de savoir s’ils ont déposé une plainte ou une main courante, mais encore de la suite judiciaire de la plainte. Il faut donc relativiser ces données d’autant que dans 61% des cas (11 969 autres signalements en 2020 et 12 025 en 2021, ndlr), l’information sur les suites données n’a pas été enregistrée« , indique l’ONVS. Par ailleurs, l’ONVS note des « réticences » au dépôt de plainte des personnels de santé, qu’il explique notamment par « une empathie naturelle des soignants » ou une « peur des représailles, surtout en psychiatrie« .

Pour rappel, l’adresse du site de déclaration des violences est https://onvs.fabrique.social.gouv.fr/

Le Gouvernement engagé sur le sujet

Suite à la publication de ce rapport 2022 et, en marge d’une visite à Chambéry au Centre hospitalier Métropole-Savoie puis dans les locaux de SOS Médecins, la ministre déléguée en charge de l’Organisation territoriale et des Professions de Santé, Agnès Firmin-Le Bodo, a quant à elle annoncé 4 axes de travail :

  •  La refonte du signalement à l’ONVS, grâce à une nouvelle plateforme en ligne dès janvier 2023. Intégrée au « portail de signalement des événements sanitaires indésirables » du ministère, elle sera plus facilement identifiable et donc plus accessible. Un mode de saisine y sera proposé aux professionnels libéraux là où seuls les utilisateurs en établissement de santé pouvaient déclarer auparavant.
  •  La mobilisation conjointe des établissements, des ordres et des forces de sécurité pour accompagner les soignants face aux violences. Dans les prochains jours, une circulaire ministérielle rappelant les bonnes pratiques en matière de protection fonctionnelle des agents de la fonction publique hospitalière sera signée. Une coopération renouvelée avec les ordres ainsi qu’avec les représentants de la justice, de la police et de la gendarmerie sera élaborée pour renforcer l’application des conventions « santé-sécurité-justice » déjà existantes et en les adaptant aux outils numériques déployés par les forces de sécurité intérieure.
  •  La diffusion des principes de sécurité bâtimentaire, grâce à la publication d’un guide dans les prochains jours. Celui-ci s’adresse à tout type d’établissement de santé et propose un corpus de bonnes pratiques. Les questions de sécurité bâtimentaire concernent également les structures de ville : c’est pourquoi le guide sera décliné dans une nouvelle version dédiée aux structures de ville en 2023.
  •  Une concertation des représentants des ARS, des établissements publics et privés, des ordres, des forces de l’ordre, de la justice, des étudiants, des organisations syndicales, des métiers de la sûreté et de la sécurité incendie, ainsi que des membres de la Conférence Nationale de Santé va être lancée dans les prochaines semaines. Cette concertation visera à mieux répondre aux enjeux de prévention des violences, de formation des soignants à y faire face et d’accompagnement des témoins et des victimes, par des propositions présentées au printemps 2023.

Rapport 2022 de l’Observatoire national des violences en santé, ONVS (PDF)