Actualités

3/04
2023

Trouble bipolaire : les dégâts du retard de diagnostics

Plus des 2/3 des personnes concernées par un trouble bipolaire estiment que le retard de diagnostic a eu de lourdes conséquences sur leur vie personnelle et professionnelle. A l’occasion de la Journée mondiale des troubles bipolaires, le 30 mars 2023, Bipolarité France et ses partenaires publient les résultats d’une grande enquête sur le long chemin du diagnostic. 10 recommandations à destination des pouvoirs publics et des professionnels de santé visent à réduire ce délai et améliorer la prise en charge des patients.

La littérature scientifique pointe un délai compris entre 8 et 10 ans pour diagnostiquer un trouble de la bipolarité (1), mais certains témoignages parlent de 10 ans, 15 ans, voire 20 ans… Face à ce constat, l’association Bipolarité France, avec 3 partenaires (Unafam, Fondation Pierre Deniker et Bipolar UK), ont voulu interroger les personnes concernées. 1204 personnes diagnostiquées pour un trouble bipolaire ont ainsi répondu à une vaste enquête réalisée en ligne du 20 décembre 2022 au 19 février 2023 (2). Les résultats permettent de dresser un état des lieux, à partir duquel ont été élaborées 10 recommandations à destination des pouvoirs publics et des professionnels de santé pour réduire le temps de diagnostic et améliorer la prise en charge des patients.

Des premiers symptômes au diagnostic : un chemin souvent long et vertigineux

Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique chronique caractérisée par des troubles récurrents de l’humeur. Les personnes atteintes d’un trouble bipolaire alternent épisodes maniaques, hypomaniaques, dépressifs ou mixtes. La littérature scientifique nous apprend que les premiers symptômes du trouble bipolaire apparaissent en général entre 15 et 25 ans (3). Du côté des répondants de l’enquête, 19 % évoquent une apparition des premiers symptômes avant 15 ans, 32 % entre 15 et 20 ans, et 17 % entre 21 et 25 ans.

Le trouble bipolaire est une maladie extrêmement complexe avec des causes multifactorielles : des facteurs génétiques, biologiques, psychologiques et socio-environnementaux sont impliqués. Même si l’on ne peut pas affirmer avec certitude l’origine de ce trouble, il semblerait qu’il existe une forte prédisposition familiale. En effet, le risque de développer un trouble bipolaire est 10 fois supérieur à celui de la population générale lorsqu’un parent du premier degré est atteint (4). L’environnement peut jouer également un rôle dans le déclenchement du trouble.

Les répondants ont été interrogés sur les événements qui auraient été, selon eux, déclencheurs des premiers symptômes du trouble de la bipolarité. Si sans surprise, un traumatisme (de façon général) serait déclencheur chez 39 % des personnes interrogées, d’autres répondants évoquent l’arrivée d’un enfant (9 %), de mauvaises conditions de travail (19 %), une période d’examen (13 %), un départ du domicile familial pour les études (11 %), ou même encore un déménagement (10 %). Ces données nous montrent qu’en fonction de l’état émotionnel de la personne, un événement qui peut sembler au premier abord assez « classique » dans une vie, peut en réalité provoquer des conséquences dramatiques et être potentiellement déclencheur d’un trouble mental, ici le trouble bipolaire. Ces données empiriques montrent qu’un changement de vie, quel qu’il soit, n’est pas à prendre à la légère et que le moindre dérèglement de l’humeur doit alerter et être pris en charge, voire diagnostiqué s’il s’agit d’un trouble mental.

Le diagnostic des troubles bipolaires : un enjeu majeur de santé publique

Les répondants sont catégoriques : le retard de diagnostic a eu des conséquences lourdes dans leur vie, et notamment au niveau des relations. En effet, 72 % des répondants affirment que le retard de diagnostic a eu un impact au niveau des relations personnelles. 69 % ont également évoqué un impact sur leur santé mentale, suivi de près par des pensées suicidaires (61 %) : un retard de diagnostic qui n’a donc fait qu’aggraver la situation de ces personnes déjà en détresse. 44 % ont perdu leur emploi ou abandonné leurs études, quand d’autres sont passées à l’acte et ont tenté de se suicider (36 %).

A ce jour, il n’existe pas d’outil d’évaluation objectif pour le diagnostic du trouble de la bipolarité. Le diagnostic des troubles bipolaires repose uniquement sur un examen clinique psychiatrique du patient, réalisé par un médecin spécialiste à l’aide de questionnaires et de diverses échelles validées (5). A partir des symptômes rapportés et des signes observés, le médecin peut poser le diagnostic de trouble de la bipolarité. Le diagnostic est généralement long et complexe : or, détecté tardivement, ce trouble peut avoir des répercussions très néfastes pour la santé mentale et physique des patients, pour leurs aidants et plus généralement dans les sphères familiale, sociale, et professionnelle.
Si le trouble de la bipolarité est si difficile à diagnostiquer, c’est parce qu’il est souvent confondu avec la dépression. Il y a plusieurs raisons à cela (6) : une majorité de personnes consultent en phase dépressive (c’est souvent le symptôme qui s’exprime en premier lieu) ; le début des états maniaques peut ne pas être alarmant au premier abord ; il peut y avoir une confusion avec la schizophrénie ; l’abus de toxiques peut masquer d’autres symptômes ; les variations de l’humeur à l’adolescence peuvent être perçues comme normales et/ou transitoires1. Plus d’1/3 (37 %) des répondants de l’enquête évoquent la présence unique d’épisodes dépressifs (sans épisodes maniaques) comme cause principale du retard de diagnostic.

Les troubles bipolaires sont d’autant plus dévastateurs qu’ils sont pris en charge tardivement. Au-delà des fluctuations de l’humeur non traitées, le risque est que d’autres troubles s’y associent tels que les troubles anxieux et les addictions. L’ensemble peut favoriser une désinsertion sociale et professionnelle voire des conduites suicidaires alors que les personnes dont le trouble bipolaire est stabilisé peuvent avoir un fonctionnement et une qualité de vie tout à fait satisfaisants.

Pr Chantal Henry, directrice scientifique de la Fondation Pierre Deniker

Aujourd’hui, il y a urgence à poser un diagnostic rapidement car la personne avec un mauvais diagnostic peut recevoir un traitement inapproprié qui ne soulagera pas ses symptômes, et pourra même aggraver son état de santé physique et mental. Les pathologies de bipolarité et de dépression ne répondant pas aux mêmes traitements, le mauvais diagnostic peut aussi favoriser les comportements à risque (abus d’alcool et d’autres substances par exemple) et également augmenter le risque de suicide.

Il aura fallu entre 2 à 5 ans pour obtenir la confirmation du diagnostic à 50 % des personnes interrogées, 5 à 10 ans pour 18 %, 10 à 15 ans pour 11 %. Pour 20 % des répondants, le diagnostic aura été confirmé plus de 15 ans après l’apparition des premiers symptômes.

10 recommandations pour réduire le temps de diagnostic des troubles bipolaires et améliorer la prise en charge
Conscients de l’enjeu que représente le diagnostic des troubles bipolaires, l’association Bipolarité France et ses partenaires ont émis 10 recommandations actionnables à court, moyen et long termes pour réduire le temps de diagnostic et améliorer la prise en charge :
1. Sensibiliser le grand public au trouble bipolaire
2. Soutenir l’innovation au service des patients.
3. Augmenter le nombre d’heures de formation dédiées à la santé mentale et au diagnostic des pathologies mentales dans le cadre des formations initiale et continue obligatoires des professionnels de santé.
4. Redonner goût à la psychiatrie.
5. Encourager la psychiatrie de précision.
6. Sensibiliser les médecins généralistes aux enjeux de la symptomatologie du trouble bipolaire difficile à différencier de la dépression, ainsi qu’à l’enjeu du diagnostic précoce pour la santé mentale et physique de leurs patients.
7. Créer un véritable écosystème autour des troubles bipolaires.
8. Former l’entourage pour qu’il puisse mieux accompagner et soutenir.
9. Démocratiser l’utilisation du digital en psychiatrie.
10. Faire évoluer le rôle du psychologue.

L’importance du diagnostic chez les personnes atteintes d’un trouble bipolaire, Rapport d’enquête, Bipolarité France, mars 2023, en pdf.

1 Haute Autorité de Santé. Troubles bipolaires : repérage et diagnostic en premier recours. Juin 2014
2 Enquête menée en ligne du 20 décembre 2022 au 19 février 2023 sur le site de l’association Bipolarité France. 1204 personnes diagnostiquées pour un trouble bipolaire ont répondu aux 20 questions.
3 Ameli. Comprendre le trouble bipolaire. 11 mai 2021
4 GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences. Les troubles bipolaires.

5 https://www.psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm/educational-resources/dsm-5-fact-sheets
6 HAS. Troubles bipolaires : diagnostiquer plus tôt pour réduire le risque suicidaire. 6 octobre 2015