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12/07
2023

Judiciarisation des admissions et des sorties d’UMD : une voie de recours inédite pour les patients

Après une décision du tribunal des conflits du 3 juillet, le Cercle de réflexions et de propositions pour la psychiatrie (CRPA) pointe « une voie de recours » jusque-là inexistante pour les patients retenus en en unités pour malades difficiles (UMD) sur décision préfectorale.

Cette décision ouvre en effet à la judiciarisation des admissions et des sorties d’UMD. Elle intervient à propos de la situation emblématique de Romain Dupuy, un patient déclaré pénalement irresponsable après avoir commis un double homicide de soignantes en 2004, et placé depuis près de 18 ans à l’UMD de Cadillac. En 2021, ses avocats ont demandé la poursuite de sa prise en charge hors de l’UMD (sans contester la nécessité de soins sans consentement), ce qui a depuis été refusé plusieurs fois par décision préfectorale (lire : Affaire Romain Dupuy : l’impossible sortie d’UMD). Nous reviendrons prochainement sur ce casse-tête juridique dans la rubrique Le Droit en pratique. Communiqué du CRPA.

Le Tribunal des Conflits en judiciarisant les demandes de transfert d’une unité pour malades difficiles (UMD) vers une unité classique d’un établissement psychiatrique ouvre une voie de recours qui était inexistante jusque-là

Les faits et la procédure

Le Tribunal des Conflits a pris lundi 3 juillet une décision importante et très attendue dans l’affaire de la demande de M. Romain Dupuy (1) que son transfert de l’UMD de Cadillac-sur-Garonne vers une unité psychiatrique classique soit décidé par le juge des libertés et de la détention.

Cette demande de transfert, malgré plusieurs avis favorables de la Commission de suivi médical, avait été jusque-là systématiquement rejetée par la Préfecture. Si une ordonnance de sortie avec transfert avait été prise par le juge des libertés et de la détention de Bordeaux le 9 juin 2022, celle-ci avait été retoquée par la Cour d’appel le 17 juin 2022 (2).
Les deux ordres de juridiction judiciaire et administratif avaient décliné leur compétence à connaitre d’une telle demande, au motif que la compétence du juge des libertés et de la détention (juge judiciaire) n’avait pas été expressément prévue par le Législateur dans le cadre de la loi du 5 juillet 2011 modifiée le 27 septembre 2013 qui avait judiciarisé les décisions de maintien en hospitalisations sans consentement.

Le Tribunal des Conflits avait été très logiquement saisi par décision du Tribunal administratif de Bordeaux du 4 avril 2023 (en pièce jointe) afin qu’il soit tranché sur la juridiction compétente à connaître des demandes de transfert d’une unité pour malades difficiles (UMD), vers une unité classique d’un établissement psychiatrique.

Dans sa décision du 3 juillet le Tribunal des conflits a décidé de judiciariser les demandes des intéressés ou des proches en contestation des décisions d’admission en unités pour malades difficiles ou de rejet des demandes de sortie de ces unités, qu’il s’agisse de demandes de sortie sèche ou de demandes de transfert.

Un pas a été ainsi franchi en direction d’une judiciarisation de l’admission comme de la sortie d’UMD. Il serait souhaitable à l’avenir que ce contrôle judiciaire devienne systématique et non facultatif ainsi que tel est le cas avec cette décision d’attribution de compétence du 3 juillet.

Il reste qu’il y a plusieurs juges judiciaires : le juge des libertés et de la détention, le juge des référés, le juge indemnitaire.

On verra sans doute prochainement des décisions de rejet prises par des juges des libertés et de la détention au motif que le requérant a trop de passif pour être libéré ou transféré, mais qu’il peut se pourvoir devant le juge de l’indemnisation s’il estime que son internement en UMD a trop duré et qu’il est entaché d’irrégularités de droit.

Quoiqu’il en soit les demandes de sortie d’UMD avec transfert en établissement classique ne pourront plus être rejetées pour cause d’incompétence de la juridiction saisie.

Cette décision est en cohérence avec celle obtenue le 9 décembre 2019 dans un dossier instrumenté par Me Jean-Marc Panfili (3) sur la compétence de la juridiction judiciaire en ce qui concerne les demandes d’annulation des décisions de mesures de soins psychiatriques sans consentement, ainsi que pour les demandes d’effacement ou de destruction des décisions et dossiers lorsqu’une mainlevée a été accordée.

Sur la juridiction administrative

Ce n’est pas incidemment que les britanniques comme les américains ont opté pour la « loi commune » en ce qui concerne les actes de leurs administrations. En France le Pouvoir central est resté barricadé derrière une juridiction administrative héritière de l’ancien régime : le Conseil du Roi devenu en 1799 le Conseil d’Etat. On a même assisté à un renforcement des prérogatives de la juridiction administrative avec les états d’urgence successifs depuis les attentats du 13 novembre 2015.

Le grand bénéfice des juridictions administratives n’en reste pas moins que les justiciables ainsi que les Media, ont droit aux conclusions des Rapporteurs publics. Ces Conseillers d’Etat disent le droit et indiquent lors des audiences à leurs collègues quelle solution ils peuvent apporter aux litiges qu’ils doivent trancher. Ces conclusions participent d’une certaine transparence de la juridiction administrative.

Dans cette affaire qui est stratégique puisqu’elle porte sur de hauts lieux de l’enfermement psychiatrique, ce serait une très bonne chose que les conclusions du Rapporteur public devant le Tribunal des Conflits soient publiées dans une revue de droit.

Cette décision du Tribunal des Conflits ouvre une voie de recours qui était inexistante jusque-là pour les personnes retenues en hospitalisations sur décisions préfectorales en unités pour malades difficiles.

Début de judiciarisation pour l’admission et la sortie d’UMD, Communiqué du CRPA. Retrouvez les documents associés sur le site de l’association .

1– Cf. drame criminel au CH des Pyrénées de Pau, 18/12/2004, https://lc.cx/HgNE4D
2– Voir nos articles du 9 juin ( https://psychiatrie.crpa.asso.fr/821 ) et du 17 juin 2022 ( https://psychiatrie.crpa.asso.fr/822 ).
3– Voir notre article sur le site du CRPA : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/747