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24/08
2023

Comment les fumeurs décrochent-ils du tabac ?

L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) publie une revue de la littérature en sciences sociales sur les trajectoires de consommation et de sorties du tabagisme. Parmi les populations vulnérables, un focus est proposé sur les personnes souffrant de troubles psychiques, pour qui le sevrage se heurte à de multiples freins.

Cette revue de la littérature s’inscrit dans la conduite du projet « Trajectoires de consommation et de sorties du tabagisme » (Tabatraj), financé par le Fonds de lutte contre les addictions géré par la Caisse nationale d’assurance maladie, qui propose une enquête qualitative centrée sur le rôle des inégalités sociales de santé dans ces trajectoires de « décrochage » tabagique.

Les travaux disponibles indiquent que la majorité des fumeurs font le choix d’arrêter de fumer spontanément et sans assistance, malgré l’existence de nombreux dispositifs et méthodes d’accompagnement. Pourtant, une minorité d’études portent sur le sevrage autonome et sur ses trajectoires associées. Elles révèlent que les usagers accordent une valeur symbolique très élevée à ce mode d’arrêt et que la norme d’abstinence après l’arrêt est également valorisée.
Le poids de la position socioéconomique sur l’expérience de sevrage tabagique

En France comme à l’international, le tabagisme et les inégalités sociales de santé qui lui sont associées sont des préoccupations majeures de santé publique. Les personnes qui ont un faible niveau de diplôme, un revenu réduit et/ou qui sont au chômage sont plus enclines à fumer. Un certain nombre d’études s’intéressent à des groupes de population ciblés, pour lesquels le sevrage représente des difficultés particulières : les femmes enceintes, les personnes atteintes de pathologies psychiatriques et les personnes qui ont vécu une expérience de migration et/ou qui sont exposées à des discriminations.

L’hôpital psychiatrique, un lieu « propice » au tabac

Un chapitre du rapport est ainsi spécifiquement consacré à la psychiatrie. La littérature montre que les personnes
atteintes de pathologies psychiatriques ont une prévalence plus élevée de tabagisme. Le sevrage tabagique peut améliorer la santé mentale, mais il est aussi plus difficile pour les personnes vivant avec ces pathologies, notamment du fait d’une expérience plus intense des symptômes indésirables du sevrage ou d’une insensibilité à la pharmacothérapie dans certains cas. De plus, les soignants se montrent parfois réticents à encourager le sevrage de ces patients.

Le rapport signale notamment un projet de recherche interventionnelle sur les représentations sociales associées au tabagisme des personnes atteintes de troubles psychiques (Ketterer et al., 2022). « Ces résultats démontrent que le tabagisme est encore symboliquement et structurellement ancré dans le quotidien des services de psychiatrie. L’hôpital psychiatrique est perçu comme un espace propice au tabagisme parce que son quotidien est organisé autour de nombreux temps creux ou de latence, souvent passés en isolement. De plus, la cigarette et le café sont deux produits associés à la figure du patient psy. Par ailleurs, l’objet constitue le support d’interactions spécifiques entre patients et soignants ou entre patients : monnaie d’échange, mode de gestion de la discipline sur un modèle punition-récompense, voire sociabilités entre patients et infirmiers. En conséquence, alors même que le sevrage tabagique est une préoccupation pour les patients – aussi identifiée dans la thèse de M. Khodja (Khodja, 2022) – cette thématique constitue une priorité négligeable pour les professionnels interrogés qui expriment pour certains l’inéluctabilité de l’échec des tentatives de sevrage ou encore le fait que ce type de prise en charge ne relève pas de leurs fonctions. Sauf demande explicite, le patient n’est pas adressé par les psychiatres vers une consultation – malgré des risques d’interaction avec certains traitements – mais peut l’être de manière ponctuelle par le personnel soignant (infirmiers, psychologues). » Ces recherches proposent diverses pistes et recommandations pour améliorer les prises en charge.

Les sorties du tabagisme : un état de la littérature en sciences sociales. Rapport, OFDT, juillet 2023, en pdf.

– Ketterer F., Roelandt J.-L., Chevreul K. (2022) Le tabagisme en psychiatrie : réalités et implications pour sa prise en charge. Santé Publique, Vol. 34, n° 5, p. 643-651.
– Khodja M. (2022) Pour une amélioration de la prise en charge du tabagisme des patients psychiatriques. Identification des forces, faiblesses, opportunités et menaces, et propositions. Université Grenoble Alpes, UFR Médecine (UGA UFRM), Thèse de médecine, 106 p.