Actualités

13/02
2024

Mineurs hospitalisés en psychiatrie : quel accès à l’enseignement ?

Au détour d’un rapport sur l’accès des mineurs enfermés à l’enseignement, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) pointe des pratiques souvent insuffisantes et hétérogènes pour les mineurs hospitalisés à temps plein en psychiatrie. Elle dénonce notamment des salles de cours non systématiquement dédiées à l’enseignement et le manque de formation des enseignants.

Le droit fondamental à l’éducation pour tous les enfants, sans discrimination, est consacré en droit international et français. L’obligation d’instruction scolaire jusqu’à 16 ans et de formation jusqu’à 18 ans concerne également les mineurs privés de liberté, pour lesquels elle revêt un caractère d’autant plus crucial que la majorité d’entre eux arrivent dans les lieux d’enfermement en grande difficulté scolaire, au milieu de vies chaotiques et bouleversées. Sous peine d’une aggravation de ces parcours, déjà bancals, l’enjeu est majeur tant pour le développement et l’insertion sociale de ces enfants que pour la société tout entière.

Or, s’agissant d’un public captif, ne pouvant – sauf rares exceptions – se rendre ni au collège, ni au lycée, l’éducation de ces enfants dépend entièrement des autorités en charge de ces lieux (établissements pénitentiaires et psychiatriques, centres éducatifs fermés) et de l’Education nationale. Le CGLPL s’alarme de constater que l’enseignement dispensé aux mineurs enfermés est loin d’être à la hauteur des enjeux et s’apparente à une scolarisation par défaut, inférieure, tant en volume qu’en qualité, à la scolarisation en milieu libre.

Les besoins, profils et parcours des enfants et adolescents enfermés doivent être identifiés

S’ils sont peu nombreux comparés aux élèves en milieu libre, les enfants enfermés présentent le plus de difficultés cumulées, familiales, d’addiction, de santé, leurs parcours personnels et scolaires sont généralement marqués par de nombreuses ruptures. Eloignés du système scolaire, ils présentent fréquemment des troubles d’apprentissage et de concentration.

Lieu de construction, l’enseignement accompagne les évolutions d’un âge à un autre. L’enfermement d’un mineur ne doit pas entraver cette progression, au risque de compromettre les conditions de sa sortie, ses perspectives de réinsertion et d’épanouissement.

Si on comptabilise environ 700 mineurs incarcérés, 600 jeunes placés en CEF, et 22 000 hospitalisés dans les services de psychiatrie, aucune statistique nationale n’existe sur le nombre des mineurs enfermés en âge d’être scolarisés, leurs caractéristiques, leur évolution, alors qu’elle permettrait de mieux connaitre ce public et d’identifier ses besoins.

Le nombre des enfants privés de liberté et d’âge scolaire doit être recensé et leur parcours mieux connu afin d’identifier leurs profils, leurs difficultés et leurs besoins.

Les enseignements en milieu fermé doivent être renforcés

En pratique, les durées hebdomadaires d’enseignement sont toujours inférieures à celles théoriquement prévues : moins de 5 heures en CEF (au lieu de 25 heures d’activités prévues), 15 heures en établissement pour mineurs (au lieu de 20), 6 heures en quartier mineur de prison (au lieu de 12), durée variable mais toujours très faible en psychiatrie où aucune durée théorique n’est prévue.

Les contraintes inhérentes à l’organisation du lieu d’enfermement conjuguées à la nécessité de constituer des petits groupes pour tenir compte de l’âge et du niveau des jeunes entraîne la subdivision d’un temps d’enseignement déjà limité. L’accès à un établissement scolaire extérieur, théoriquement possible pour les mineurs hospitalisés ou placés en CEF, n’est mis en œuvre qu’exceptionnellement.

Suivant le calendrier général, l’enseignement s’interrompt totalement pendant les congés scolaires, ce qui laisse les enfants et adolescents enfermés désœuvrés.

Les mineurs privés de liberté doivent bénéficier d’un enseignement adapté, comparable à celui des élèves à l’extérieur, notamment en volume horaire. Il est absolument nécessaire d’assurer la continuité pédagogique durant les vacances scolaires.

Outre les moyens matériels (salles de classes trop petites, manque d’équipement élémentaires), l’enseignement dans les lieux de privation de liberté manque de moyens permettant aux élèves de passer un examen, alors que l’obtention d’un diplôme est fondamentale en termes de valorisation, de remobilisation et de réinsertion.

L’enfermement ne doit pas empêcher un jeune de passer un examen. En cas d’impossibilité d’accéder aux centres d’examen, les épreuves doivent pouvoir être organisées dans les lieux de privation de liberté.

La continuité de la prise en charge scolaire des mineurs enfermés doit être garantie

Les services chargés de l’éducation des mineurs enfermés rencontrent de grandes difficultés pour inscrire leur intervention dans la continuité du projet pédagogique, que ce soit en amont, au cours ou à l’issue de l’enfermement.

Les autorités peinent à réunir les informations antérieures à l’enfermement. Il est d’autant plus difficile de reconstituer le parcours antérieur que l’arrivée dans un lieu de privation de liberté est rarement programmée.

La sortie constitue une phase critique car l’enfant doit passer d’un dispositif insuffisant mais cadré et de petite taille, à des dispositifs qui ne le sont pas, voire à un retour en milieu scolaire ordinaire. Des documents de bilan sont généralement élaborés mais ne sont pas systématiquement transmis. La coordination nécessaire à ce suivi peine à se mettre en place, faute de temps ou de conventionnement avec les établissements scolaires d’arrivée.

Le passage à la majorité entraine trop souvent la rupture de l’accès à l’enseignement : changement de lieux, d’intervenants et de règles applicables.

Le projet pédagogique personnalisé de l’enfant doit être formalisé dans chaque lieu de privation de liberté où il est pris en charge, les enseignants doivent disposer sans délai des informations sur sa scolarité. L’inscription de tout mineur enfermé doit être formalisée dans un établissement de rattachement pour veiller à la continuité de son parcours scolaire. Les dispositifs visant à atténuer les conséquences du passage à la majorité dans la prise en charge des jeunes adultes doivent être mis en œuvre.

Un cadre légal et institutionnel doit être mis en place pour sanctuariser l’enseignement scolaire au sein des lieux d’enfermement

Dans l’ensemble des lieux de privation de liberté, le nombre d’enseignants est insuffisant. La possibilité de travailler auprès d’enfants enfermés est généralement inconnue, les fiches de postes ne renseignant pas toujours précisément les conditions d’exercice. Nombre d’enseignants ont déploré la faible attractivité des postes en milieu fermé.

Si des formations sont prévues pour les enseignants exerçant en CEF et en détention, aucune n’est prévue pour ceux qui interviennent dans les services de psychiatrie. Lorsqu’elles existent, ces formations sont perfectibles dans leur contenu. Lors de l’entrée en fonction, les enseignants se trouvent souvent livrés à eux-mêmes pour appréhender un environnement qu’ils connaissent mal.

La scolarité doit être une priorité absolue pour les enfants enfermés. Cette priorisation doit être expressément prévue par la loi, mise en œuvre dans les faits, sans que les contraintes et difficultés opérationnelles propres aux administrations responsables des lieux d’enfermement n’y fassent obstacle. L’accès à l’enseignement doit permettre d’identifier les difficultés de chaque élève enfermé, de définir son parcours et d’en assurer le suivi, y compris après sa sortie.

La loi doit permettre à l’Éducation nationale de garantir un recrutement à la hauteur des besoins. Un statut spécial des enseignants en milieu fermé doit être créé afin de valoriser leur mission et leur permettre de l’exercer efficacement, y compris pendant les vacances scolaires.

• En savoir plus : Avis du 17 novembre 2023 relatif à l’accès des mineurs enfermés à l’enseignement, Journal officiel du 31 janvier 2024, accès en ligne sur le site du CGLPL