Le Palais de Tokyo accueille le travail du CIAPA, à Paris, autour de la photo
Agathe Boulanger, artiste et soignante, anime le labo photo du Centre Intersectoriel d’Accueil pour Adolescent au GHU Paris. Elle souligne les bienfaits de cette médiation thérapeutique autour de la photographie grâce à l’implication des jeunes patients dont les productions s’exposent jusqu’à la fin du mois de juin au Palais de Tokyo à l’occasion de l’exposition « Touché l’insensé ».
Artiste et soignante auprès d’adolescents en pédopsychiatrie, Agathe Boulanger, 41 ans, a, avec d’autres soignants, initié au Centre Intersectoriel d’Accueil Pour Adolescents (CIAPA) au GHU Paris, un atelier de photographie et le magazine Accroc, qui en est l’extension. « C’est une médiation thérapeutique autour de l’image photographiée, filmée, photocopiée, explique Agate. L’idée a émergé il y a maintenant trois ans, avec le constat que les adolescents que nous rencontrons sont parfois submergés par la production, la consommation et le partage des images, en masse et de manière quasi instantanée via les réseaux« . Il s’agissait donc de « repenser l’image », poursuit-elle, comment en faire un outil de regard sur le monde mais aussi de regard sur soi, une forme d’introspection, avec cette question : qu’est-ce que cela dit de nous ?«
« Notre question de départ : comment repenser l’image avec les adolescents, ralentir son processus, la produire et la regarder de manière moins passive, plus consciente ? »
Le labo photo en pratique Il est porté par 4 soignants : un infirmier, une infirmière, un éducateur et un psychologue. Chaque mardi après-midi, il accueille au CIAPA 3 à 4 adolescents. Soignants et soignés, tous ont été formés au sein d’un labo photo associatif pour acquérir un savoir-faire. Il y a différents types de séances, des prises de vue à l’intérieur de la structure ou à l’extérieur, dans le quartier ou ailleurs selon les projets. Les négatifs photos sont développés dans le labo, dans l’obscurité totale, ensuite les tirages sont fait sur papier photo à la lumière rouge.
« Accroc », un magazine pour aller plus loin
Agathe le souligne, « cette médiation s’est construite, dans l’idée de faire des images de A à Z au CIAPA, mais aussi de penser la manière de les archiver, de les classer, de les montrer, par leur installation dans l’espace ou rassemblées sous une forme publiée« . De fait, dès les premiers mois, avec les adolescents, un objet imprimé, une sorte de magazine “fait maison”, a été imaginé. « Il nous a permis d’accueillir leurs images, de les agencer de manière collective, en y ajoutant des textes, des collages, des objets scannés, en lien avec le thème qu’ils avaient choisi et le geste photographique qu’ils avaient déployé ensemble« . Ce magazine s’appelle Accroc, comme le diminutif “d’accrochage”, c’est-à-dire, une forme d’exposition spontanée, qui offre un espace d’expression, de liberté, au sein d’un cadre : celui d’un format A4 agrafé, d’une vingtaine de pages. « Accroc, c’est aussi l’accroc qu’il y a dans le tissu, l’imperfection, le défaut, ce qui fait écho à notre manière expérimentale de faire les images, et d’accueillir l’imprévu« . 8 numéros ont déjà été produits.
« Nous ne sommes pas des techniciens de la photographie et nous le revendiquons haut et fort ! »
Des images exposées au Palais de Tokyo
Pour l’exposition « Toucher L’insensé », présentée au Palais de Tokyo, il s’agissait donc de faire partager les pages du magazine Accroc. « Ce n’est pas évident de penser comment exposer un magazine, explique Agate. L’idée de le feuilleter était compliqué à envisager dans un lieu d’art avec autant de visiteurs par jour. Aussi, nous ne voulions pas le fétichiser dans une vitrine, ni en faire un objet d’art en l’encadrant. Nous avons donc décidé de scanner les pages du magazine ouvert, et de les agrandir« . L’accrochage ,aux côtés des régisseurs du Palais de Tokyo, s’est fait en février dernier avec un groupe d’adolescents. « Ils nous ont laissé une grande liberté, même s’il y avait des règles à respecter, comme le port de chaussures de sécurité, ou les gants pour manipuler les posters sans les abîmer. L’idée était d’accrocher les posters à notre hauteur, ou à hauteur “de tabouret”, comme dans une chambre d’adolescents« . Les images sont punaisées dans le bois du mur de l’exposition. Agate raconte comme cet accrochage n’a pas été facile. « Les punaises se tordaient en les enfonçant, nous avons utilisé des marteaux pour nous aider mais ils cassaient la tête coloré des épingles, les posters tombaient parfois au fur et à mesure qu’on les accrochaient. Il y a donc beaucoup d’accrocs dans cet accrochage… Alors nous nous sommes dit que c’était très bien comme ça« .
« Les agrafes et la superposition des pages sont donc visibles, il y a parfois la trame des photocopies successives ou les traces des manipulations des pages. Il nous a semblé que le magazine conservait sa matérialité, tout en décalant sa forme. »
"Toucher l'insensé" : une exposition collective au Palais de Tokyo, à Paris La « psychothérapie institutionnelle » est une pratique de la psychiatrie initiée au milieu du 20e siècle, dont le présupposé est que pour soigner les malades, il faut d’abord soigner l’hôpital. Autrement dit, ne jamais isoler le trouble mental de son contexte social et institutionnel. Inspirée de ces expériences psychiatriques et humaines révolutionnaires, qui s’appuient sur le collectif et sur la création artistique, cette exposition s’intéresse à différentes manières de transformer des lieux d’isolement en lieux de protection, en refuges contre les violences de la société. Films et vidéos, collages, peintures, installations, dessins, photos : différentes œuvres sont rassemblées pour parler de ces sujets encore tabous, souvent intimes. • Palais de Tokyo, du 16 février 2024 au 30 juin 2024. Horaires et accès ; tarifs ; accès.
• Article construit à partir de l’entretien d’Agate Boulanger proposé par le GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences. « Les usagers du CIAPA exposent au Palais du Tokyo jusqu’au 30 juin ».
• Lire aussi « « Toucher l’insensé », une exposition collective sur les lieux du soin psychique », Santé mentale, 26 février 2024