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2/07
2024

« Soigner les patients difficiles est un travail d’orfèvre »

Lors d’une journée de restitution de ses travaux, le 24 juin, la Commission nationale de psychiatrie (CNP) a émis une dizaine de préconisations pour améliorer les parcours des patients difficilesDans le contexte en tension de la discipline, et des attentes sociales sécuritaires, concilier nécessité de soins et restriction de liberté reste « un travail d’orfèvre »

Créée en 2021, la Commission nationale de psychiatrie (CNP) regroupe les acteurs de la discipline au sens large (hospitaliers, universitaires, libéraux, psychologues, infirmiers, patients, directeurs…), avec l’objectif de promouvoir auprès de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) des dispositifs et des méthodes en prise directe avec les réalités du terrain. Présidée par M. Lejoyeux, Pr de psychiatrie et d’addictologie, elle se compose de différentes sous-commission thématiques et s’articule autour d’un groupe opérationnel psychiatrie coordonné par Radoine Haoui, chef de pôle psychiatrie au CH de Béziers. Une journée de restitution de ses travaux a été organisée le 24 juin au ministère de la Santé. Trois tables-rondes ont permis d’aborder des enjeux d’actualité : la question des malades dits difficiles ; les relations entre psychiatre et psychologue dans le cadre des psychothérapies et parcours de soin ; les innovations.

A propos de la première table-ronde, le Pr Lejoyeux a précisé le positionnement de la CNP dans une interview au Quotidien du médecin : « Nous ne souhaitons pas attiser les polémiques autour de l’isolement et de la contention, des unités pour malades difficiles (UMD), ou des unités de soins intensifs en psychiatrie (Usip). Nous voulons aborder cette question du point de vue de la clinique, du patient et de l’organisation des soins, plutôt que des structures. Il s’agit de considérer qu’un épisode difficile fait partie d’un parcours psychiatrique. »

Les patients « difficiles », un « travail d’orfèvre »

A partir notamment des travaux du Pr Jean-Louis Senon, coprésident de la sous-commission nationale de  psychiatrie  légale, et des remontées des établissements, Radoine Haoui a présenté la problématique de la prise en charge de ces malades « dits difficiles ou présentant une complexité clinique, en raison de leurs troubles psychopathologiques ou des comorbidités ». Dans le contexte en tension de la discipline, et des attentes sociales sécuritaires, avec leurs lots d’injonctions paradoxales, il a souligné une « équation » complexe : « concilier nécessité de soins et restriction des libertés, droit des patients, protection des agents et sécurité des soins pour certains patients susceptibles de présenter une dangerosité psychiatrique, à certains moments de leur parcours » est un « travail d’orfèvre, qui exige compétences cliniques, formation, expérience, expertise, disponibilité, et bien sûr une architecture adaptée pour prendre soin de ces patients », a-t-il précisé. Il s’agit de mettre en œuvre un suivi personnalisé, un cadre thérapeutique contenant, dans le respect des droits et de la dignité de ces personnes.

Dans cette perspective, une série de préconisations se décline à différents moments des soins :

  • Bien évaluer la phase aiguë de la maladie, sans stigmatiser le patient, pour poser un cadre thérapeutique « adapté et proportionné » et bien expliquer au patient les modalités de sa prise en charge.
  • Repérer les patients difficiles pour mieux les prendre en charge. « Une minorité de patients, environ 2%, est à l’origine d’une part importante d’incidents violents ». Ces patients peuvent créer des clivages dans les équipes.
  • Travailler l’organisation des soins dans l’unité. Les organisations doivent être plus lisibles, pour que les patients se repèrent mieux dans leur prise en charge. Des référents médico-soignants peuvent contribuer à cela. De plus, des activités thérapeutiques variées doivent être proposées.
  • Mieux articuler les soins entre l’intra- et l’extra-hospitalier, pour éviter les risques de rupture et /ou les fugues.
  • Organiser les admissions directes des patients en phase de décompensation dans leurs services, de préférence
  • Interroger régulièrement la pertinence des mesures de soins sans consentement, de l’isolement et de la contention en fonction de la clinique. Des « staffs quotidiens, pluriprofessionnels » doivent être prévus. Debrieffer toutes les mesures de contrainte avec le patient est indispensable.
  • Dans toute unité de soin fermée, veiller à la régularité de la présence médicale et surtout de l’encadrement médico-soignant.
  • Maintenir les synthèses cliniques ou les supervisions, pour accompagner les équipes face à des événements violents. « Dans certains endroits, quand on est en mode dégradé, ces synthèses cliniques sautent, alors que ce n’est pas du temps perdu », a-t-il souligné.
  • Planifier le suivi ambulatoire sur une période rapprochée de 20 semaines « puisqu’on sait notamment que 60% des situations de violence chez les patients schizophrènes surviennent » à cette période après la sortie de l’hôpital.
  • Organiser des espaces d’échanges avec les partenaires (médico-sociaux, judiciaires… ).

Ces patients difficiles, qui souvent « mettent à rude épreuve les équipes » nécessitent « non pas une prise en charge particulière mais une prise en charge personnalisée et un cadre thérapeutique contenant dans le respect des droits et de la dignité de ces personnes ».