TCA : #SkinnyTok : un phénomène qui inquiète

La Fédération française anorexie boulimie (FFAB) alerte sur l’engouement médiatique pour #SkinnyTok. Ce hashtag glorifie la maigreur extrême, culpabilise et diffuse des messages incitant à la métamorphose du corps, au prix de restrictions alimentaires à haut risque. Ce phénomène est marqué par son caractère massif et l’exposition d’enfants de 10 à 14 ans. Communiqué.
Une résurgence inquiétante
La pression sociale très ancienne exercée sur les corps, et en particulier le corps des femmes, ne diminue pas. Le premier phénomène numérique bien connu « pro-ana » a introduit la promotion de la maigreur de manière durable dans l’univers du web. Ce phénomène profond est un caméléon qui se fond dans chaque nouveau format, assurant une exposition continue à travers les générations à l’injonction au contrôle du corps, faisant fi de la réalité biologique de diversité des silhouettes et des métabolismes.
Vingt ans après l’apparition du mouvement « pro-ana », qui promouvait l’anorexie mentale comme un mode de vie, les formats ont évolué vers la promotion de contenus plus nombreux, rendu ultra accessibles, en grande quantité, via des algorithmes opaques. Le hashtag #thininspiration et bien d’autres ont envahi successivement les divers réseaux. Le dernier né est #SkinnyTok. Il résonne partout, d’abord sur les réseaux puis dans les médias, selon les modalités actuelles : plus rapides, plus intenses et éphémères.TikTok fonctionne selon une modalité addictive. Ses algorithmes proposent de brèves vidéos qui s’enchainent à l’infini et créent un effet de répétition quasi-hypnotique. Une simple recherche suffit pour tomber sur des milliers de publications valorisant la restriction calorique, la culpabilisation après avoir mangé, ou la glorification de la maigreur. Certaines publications #SkinnyTok atteignent plusieurs millions de vues. Leurs auteurs, souvent perçus comme des modèles par des adolescents en quête d’identification, délivrent des messages violents :
• « J’espère que ce que tu as mangé vaut la peine d’être gros cet été »
• « 1000 kcal par jour max si tu veux être jolie »
Les commentaires laissés sous ces vidéos sont alarmants : « Je commente pour rester sur SkinnyTok« , « C’est ma motivation du jour« .
Si les mots et les formats changent, le fond reste le même : glorification de la maigreur extrême, culpabilisation et diffusion de messages incitant à la métamorphose du corps, au prix de restrictions alimentaires à haut risque. Le phénomène actuel est marqué par son caractère massif et l’exposition d’enfants de 10 à 14 ans, piégés dans une spirale de contenus toxiques, où la souffrance devient un critère de reconnaissance.La médiatisation de ce phénomène pourrait même entretenir la mécanique qu’elle cherche en apparence à dénoncer. Car la fascination pour le contrôle du corps est un phénomène sociologique qui comprend les commentateurs, les journalistes et même les professionnels de santé.
Quatre raisons majeures de s’alarmer face au phénomène #SkinnyTok
1. Un discours culpabilisant et toxique
Présenté comme de la « motivation », ce discours est en réalité brutal, honteux et souvent déshumanisant. Il renforce les sentiments de honte et d’auto-dévalorisation, qui peuvent entrainer des perturbations alimentaires et accentuer le phénomène déjà présent fréquemment chez les personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires (TCA). L’exposition à ce type de messages peut être un déclencheur d’une restriction alimentaire pathologique, voire d’une aggravation d’un TCA ou d’une rechute.
2. Des méthodes extrêmes banalisées
De nombreuses vidéos proposent des régimes à moins de 800-1000 kcal/jour, le retrait complet de catégories alimentaires et une activité physique excessive. Ces recommandations relèvent de la mise en danger et s’accompagnent d’une glorification de la douleur, de la faim et du contrôle.
3. Une esthétique de la maigreur valorisée
Les images véhiculées glamourisent la maigreur extrême et en font un idéal atteignable. L’exposition à ces modèles augmente l’insatisfaction corporelle, qui est un facteur de risque majeur de TCA, tel que l’anorexie mentale – bien connue – mais aussi la boulimie ou l’hyperphagie boulimique. Ce mécanisme est bien documenté dans la littérature scientifique.
4. Un risque d’effet Werther alimentaire
Comme dans le suicide mimétique, la répétition des images et discours autour de la maigreur peut entraîner une contagion des comportements à risque. Le traitement médiatique sensationnaliste ou non encadré peut même renforcer le phénomène, et la diffusion des images pour illustrer le phénomène est délétère…
Des conséquences très concrètes
Sur le plan physique
Les restrictions alimentaires drastiques peuvent entraîner une dénutrition aiguë, des troubles électrolytiques (hypokaliémie) et cardiaques avec un risque vital, un retard de croissance ou de puberté.
Sur le plan Plan psychique
Ces restrictions sont responsables d’une estime de soi dégradée, d’anxiété chronique, de dépression, de conduites suicidaires ; elles peuvent contribuer au développement, à la rechute, au maintien ou à l’aggravation de TCA chez les personnes à risque. Depuis la pandémie de CoViD-19, les professionnels de santé observent une hausse massive de la demande de soins pour TCA, et pour des personnes de plus en plus jeunes ; et ce quel que soit le TCA. Les TCA sont associés à un taux de mortalité très élevé, bien supérieur à celui de la population générale.
Quelles solutions ?
Le phénomène #SkinnyTok souligne l’urgence de mesures générales concernant les réseaux sociaux et la santé mentale des jeunes, pour protéger des risques liés au TCA et bien au-delà, à savoir :
1. Une réglementation de l’usage des réseaux sociaux pour protéger les mineurs (modération, signalements, limites d’accès aux contenus nocifs…).
2. Le renforcement, dès le plus jeune âge, de l’éducation à l’utilisation du numérique et des médias et le développement de l’esprit critique ; ceci est aussi valable pour les adultes proches des jeunes (parents, personnel scolaire, animateurs, éducateurs spécialisés, soignants…).
3. Une prévention primaire globale des TCA : – qui ne se limite pas à la lutte contre les idéaux de maigreur, qui n’est qu’un facteur parmi de nombreux autres contribuant au développement de TCA chez les personnes vulnérables ;- qui intègre les autres facteurs de vulnérabilité commun aux troubles mentaux : troubles des régulations émotionnelles, traumatismes, isolement ;- qui soit intégrée à une stratégie ambitieuse de prévention en santé en cette année de grande cause nationale « santé mentale ».
La Fédération Française Anorexie Boulimie rappelle en outre l’urgence à développer, en France, une filière de soins spécialisée, de la pédiatrie à l’âge adulte, pluridisciplinaire et graduée, permettant de développer la prévention secondaire et tertiaire indispensable, incluant le repérage précoce et des soins adaptés. L’offre actuelle est notoirement insuffisante (cf. rapport FFAB / DGOS sur les TCA ) laissant souvent seules les personnes concernées, leurs proches et les professionnels de santé de première ligne. Elle appelle à considérer les TCA dans leur ensemble (anorexie mentale, boulimie, hyperphagie boulimique, troubles restrictifs de l’enfant) avec une approche réaliste et non glamourisée insidieusement via les réseaux sociaux.
En conclusion
#SkinnyTok n’est pas une tendance anodine. C’est un nouvel exemple du risque que font courir les réseaux sociaux à la santé mentale des jeunes. Mais c’est aussi l’arbre qui cache la forêt : les troubles des conduites alimentaires (TCA) ne sont pas la conséquence directe ou unique de l’incitation à la maigreur, ils sont fréquents et ont des conséquences parfois graves et prolongées.C’est aussi un phénomène qui fait parler exclusivement de l’anorexie mentale – qui fascine du fait de la maigreur associée – oubliant les autres TCA, bien plus fréquents encore et tout aussi graves, qui sont tout aussi concernés (en particulier la boulimie et l’hyperphagie boulimique). Il est de notre responsabilité collective de considérer les dangers des réseaux sociaux dans leur ensemble, afin de répondre avec urgence, rigueur et ambition à la question de la préservation et de la promotion de la santé mentale des jeunes, en particulier les plus vulnérables, incluant ceux touchés ou à risque de TCA.
SEMAINE MONDIALE DE SENSIBILISATION AUX TCA (2 AU 8 JUIN 2025)Comme chaque année, La FFAB se mobilise dans le cadre de la semaine mondiale de sensibilisation aux TCA. Cette année est consacrée au thème : "Quand les TCA s'immiscent dans la famille". Retrouvez toutes les informations utiles ci-dessous : Le lien vers le dossier de presse de cette 5ème édition Le lien vers le site internet de l'événement