Lutter contre la soumission chimique : une urgence de santé publique !

La mission sur la soumission chimique menée par deux parlementaires a rendu ses conclusions. Quinze mesures – sur une cinquantaine proposées – sont à appliquer « en priorité dès cette année », afin d’informer la population et de. former les professionnels concernés, de prévenir « l’administration de substances nuisibles à l’insu de la victime afin de commettre un viol ou une agression sexuelle », d’accompagner les victimes dans un recueil efficace de preuves qui disparaissent en l’espace de quelques heures, et de leur permettre de se réparer à travers des soins adaptés et une instruction judiciaire allant jusqu’à la sanction pénale.
Pour mémoire, en avril 2024, le Gouvernement confiait à Sandrine Josso, députée et membre de la Délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et Véronique Guillotin, sénatrice et membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes au Sénat, une mission sur la soumission chimique. Après plusieurs mois d’auditions et de travaux, les parlementaires ont remis leurs conclusions le 12 mai dernier à Aurore Bergé, ministre chargée de l’Egalité entre les Femmes et les Hommes et de la Lutte contre les discriminations, et Yannick Neuder, ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins.
Dans le code pénal français, la soumission chimique est définie comme un mode opératoire de la violence sexuelle, à savoir : « le fait d’administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle » (article 222-30-1). Cette qualification n’intègre pas néanmoins la dimension la plus prégnante de ce phénomène, à savoir la vulnérabilité chimique, fondée sur une prise volontaire de substances psychoactives par la victime potentielle (dans 90% des situations, alcool ou cannabis), fragilisant puis annihilant sa résistance, l’agresseur exploitant ensuite l’altération de son discernement dans un dessein délictuel ou criminel.
Le présent rapport vise à définir, à quantifier et à mettre en exergue la sous-estimation statistique très significative de la soumission chimique, ce mode opératoire se déroulant majoritairement dans le cercle familial et amical à partir de médicaments détournés de leur usage.
« Après le procès de Mazan, qui a été éminemment pédagogique et en cela historique, nous souhaitons par ce rapport poursuivre l’effort engagé par Gisèle Pélicot pour faire connaître ce phénomène et le combattre. Étant moi-même médecin, je me suis particulièrement interrogée sur ses 10 années d’errance médicale et me suis demandée si la possibilité que son mari la drogue me serait venue à l’esprit. Nous devons mettre l’accent sur la sensibilisation et la formation de tous pour que cette errance ne puisse ne puisse plus jamais advenir. » Véronique Guillotin, sénatrice de Meurthe-et-Moselle.
En 2022, 1 229 soumissions et vulnérabilités chimiques vraisemblables ont été analysées par le Centre de référence des Agressions facilitées par les substances (CRAFS) (voir notre article). Dans ce contexte de risque croissant, le présent rapport avance 50 recommandations, dont 15 sont à mettre en œuvre en priorité dès l’année 2025, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS 2026) et le projet de loi de finances (PLF 2026).
Prévenir, sensibiliser
-Dès 2025, une campagne nationale de sensibilisation portant sur la soumission et la vulnérabilité chimiques est organisée auprès de l’ensemble de la population,
-Organiser une Conférence nationale annuelle relative à la lutte contre les violences, intégrant les faits croissants de soumission et de vulnérabilité chimiques.
– Compléter les outils de suivi existants, en distinguant les deux sujets de soumission et de vulnérabilité chimiques dans les enquêtes nationales relatives à la violence afin de tracer précisément ce mode opératoire.
– Renforcer les moyens au bénéfice d’enseignements portant sur l’éducation à la vie affective et relationnelle, et à la vie sexuelle dans les établissements scolaires du premier et du second degrés (écoles élémentaires, collèges et lycées).
Accompagnement des victimes
-Elaborer un référentiel par la Haute Autorité de Santé (HAS) sur le dépistage, l’orientation et l’accompagnement des personnes victimes de soumission ou de vulnérabilité chimique.
-Autonomiser le Centre de Référence des Agressions Facilitées par les Substances (CRAFS), sous forme d’unité fonctionnelle ou de service hospitalier, comme structure nationale d’information et de coordination auprès des victimes
et des professionnels.
-Actualiser les textes sur la procédure de recueil des preuves sans dépôt de plainte au sein de groupements hospitaliers afin d’y intégrer les victimes de soumission ou de vulnérabilité chimiques.
– Généraliser l’expérimentation sur le remboursement des prélèvements biologiques sans dépôt de plainte dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2026, au 1er janvier 2026.
– Dès le prochain PLFSS 2026, augmenter le socle financier commun aux Maisons des femmes, grâce à un accroissement de la contribution de la Mission d’Intérêt Général (MIG) Violences.
Traitement judiciaire
-Intéger au code pénal la circonstance aggravante « pour la victime en cas d’état d’ivresse ou sous l’emprise de produits stupéfiants » pour les infractions de viols, d’agressions sexuelles et d’agressions sexuelles sur personnes
particulièrement vulnérables (modifications des articles 222-24, 222-27, 222-29 du code pénal).
-Elargir la levée du secret médical aux cas de soumission et de vulnérabilité chimiques, si la victime ne souhaite pas déposer plainte, du fait de l’altération temporaire de son discernement ou du contrôle de ses actes par un tiers
(modification de l’article 226-14 du code pénal).
-Dès le projet de loi de finances (PLF) 2026, la mission demande un abondement des dotations budgétaires des unités médico-judiciaires (UMJ) afin de prendre réellement en compte les besoins des équipes médicales et paramédicales corrélés à ceux des victimes de violences et d’assurer une couverture de l’ensemble des territoires.
-A l’instar du circuit de traitement prioritaire des violences intrafamiliales, intégrer les affaires de soumission et de vulnérabilité chimiques à la filière d’urgence de la procédure pénale.
Formation Recherche
-L’association systématique de groupes de victimes- expertes ou victimes- partenaires afin de travailler en coopération avec les services de soins, de police et de justice, représentent un élément indispensable de compréhension et d’amélioration de la prise en charge dans le traitement de la soumission chimique.
-Créer un appel à projets (Bpifrance, France 2030) afin de développer la recherche clinique sur le psychotraumatisme lié aux violences sexuelles, à ses différentes expressions selon les victimes et aux méthodes de soins pour le traiter. L’appel à projets mentionnera explicitement les situations de soumission et de vulnérabilité chimiques.
• Rapport au Gouvernement sur la soumission chimique
• Remise du rapport issu de la mission gouvernementale sur la soumission chimique, Communiqué de presse, Ministère chargé de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, 12 mai 2025.