Le poids des contraintes temporelles

14 octobre 2024
10h45 - 12h15

Le poids des contraintes temporelles

Le temps est une ressource précieuse ! Qu’il s’agisse d’attendre l’effet d’un traitement médicamenteux, d’accompagner un patient dans sa prise de conscience de la maladie (parfois après plusieurs décompensations…) ou encore de tisser patiemment une relation de qualité, impossible « d’aller plus vite que la musique » intime de chacun. L’accélération des temps et des rythmes bouscule pourtant ce travail d’apprivoisement et de tissage du lien thérapeutique. Epuisement physique et émotionnel, saturation cognitive, stress, hyperactivité et sensation permanente de « manquer de temps » érodent alors la capacité des soignants à observer, analyser et réagir. Dans le même temps, la perte de sens de l’investissement professionnel s’installe et alimente souvent la culpabilité des soignants. Comment les professionnels tentent-ils de faire face et à quel prix ? Les entretiens informels, fragiles havres de paix, peuvent constituer des espaces de respiration à réinvestir.

– Le mal-être des soignants face à l’accélération du rythme de travail, Agathe MORINIERE, Docteure en sciences de gestion, Maître de conférence EM Lyon

Le temps est devenu un enjeu crucial pour les organisations, en particulier dans le secteur de la santé. Depuis trente ans, on constate une accélération de la prise en charge des patients repérable via la réduction des durées moyennes de séjour. Cette présentation vise à questionner cette course à la productivité dans le domaine des soins et à explorer les implications éthiques pour les professionnels du secteur. En nous appuyant sur la théorie de l’accélération sociale de Hartmut Rosa, nous identifions quatre grandes catégories d’implications éthiques : la flexibilité attendue des directeurs d’hôpitaux face à un futur toujours plus incertain ; l’érosion de l’éthique des soins ; le processus de déshumanisation mécaniste des soignants et les effets néfastes de la rapidité sur le travail émotionnel et le bien-être des soignants.

L’idéal soignant à l’épreuve du temps : de la blessure à l’épuisement, Charlotte PERRIN-COSTANTINO, Docteure en psychologie clinique, Psychanalyste membre de la SPP, Directrice de la revue Cliniques – Paroles de praticiens

Le travail constitue une voie de sublimation importante, notamment lorsqu’il peut dériver les buts pulsionnels originels vers des activités sociales, techniques, intellectuelles ou relationnelles constructives et organisatrices, autrement dit vers des activités porteuses de valeurs, de sens et d’utilité. En ce sens, il contribue de manière déterminante à nourrir notre idéal dans notre quotidien de travail. Mais lorsque les fondements même du cœur de métier, notamment la question du temps au centre des processus de soins, se trouvent entamés par les circonstances, abîmés par l’accélération ambiante, nos idéaux souffrent, la valeur donnée au travail devient « peau de chagrin » et l’épuisement professionnel s’installe. Le travail, ses aléas et/ou son organisation globale, peuvent confisquer ce en quoi il est producteur de valeurs et constitue une voie de sublimation aux sources de notre idéalité. Dans ces contextes difficiles et désenchantés de travail, les institutions de soin doivent parfois recourir à un dispositif tiers pour soutenir l’idéal de travail blessé notamment par cette confiscation « du temps pour soigner », et aider les équipes à reconstruire du sens, de l’utilité et de la valeur à leurs pratiques.

– L’entretien fréquent et de courte durée, Dominique FRIARD, Infirmier et superviseur d’équipes

En psychiatrie, le soin ne se résume pas à la quantité d’actes accomplis ! On pourrait les multiplier sans soigner réellement. Le soin repose sur la qualité de présence des soignants, sur leur façon d’habiter l’espace qui lui est consacré. Les interactions avec les soignés ou leurs proches ne se limitent pas aux moments de rencontres directes, ni aux micros-évènements qui leur servent de prétexte. L’accélération du temps et des rythmes n’est donc qu’une partie du problème. Les entretiens fréquents et de courte durée qui s’appuient sur le quotidien (lever, distribution du traitement, prise des constantes, toilette, repas, …), sur le modèle de ceux que l’on peut proposer aux personnes en état maniaque, permettent d’abord de se préoccuper des besoins primaires de la personne, de contenir ses éventuels débordements, d’enrichir le recueil de données, de saisir un fil rouge qui servira de repère, de l’explorer avec la personne, de ponctuer la journée, de faire exister une temporalité psychique qui vaudra pour l’ensemble des séquences. Ces entretiens courts valent par la trace qu’ils laissent (leur impact) et la mobilisation qu’ils suscitent. Lorsqu’à distance de l’interaction, le soignant rédige ses notes, il différencie le réel des besoins, l’imaginaire qu’ils convoquent, le contenu émotionnel et conceptuel de l’échange, la qualité de la relation qui l’autorise, la mobilisation psychique induite chez le patient hors des moments de co-présence et ses effets sur ce qui le préoccupe. Ces entretiens fréquents et de courte durée offrent un réel espace thérapeutique chaque fois que le temps du soin est contraint.

.