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29/03
2019

« La culture de la bienveillance s’est érodée en psychiatrie »

Dans son rapport annuel d’activité, Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de libreté (CGLPL) pointe des manquements récurrents envers les personnes hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie : manque de personnel, locaux vétustes ne respectant pas la dignité des patients, recours accru aux soins sans consentement, augmentation des mesures d’isolement et de contention, engorgement des urgences générales faute de place dans les services de psychiatrie.  Devant ce constat réitéré, elle estime qu’« Il est urgent de revoir la chaine complète de prise en charge de la maladie mentale : créer des services accessibles pour accompagner les patients dans leur quotidien et prévenir les crises, concevoir des hôpitaux pratiquant par principe une hospitalisation en unité ouverte avec des exceptions rares, médicalement justifiées et régulièrement réévaluées, mettre sur pied des politiques ambitieuses de réduction des pratiques d’isolement et de contention et, enfin, ouvrir des structures médico-sociales adaptées à la prise en charge en fin d’hospitalisation ; en d’autres termes hospitaliser moins pour soigner les patients dans un meilleur respect de leur dignité et de leur liberté. »

La situation observée

En 2018, le CGLPL a visité vingt-trois établissements de santé habilités à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement. À l’exception d’une seule, les visites du CGLPL ont permis des échanges constructifs avec des équipes attentives aux remarques qui leur étaient faites, et ce même quand il a été fait état de constats graves et de recommandations exigeantes.

Relevons plusieurs problématiques.

• L’encadrement des pratiques d’isolement et de contentionPlus de deux ans après la loi du 6 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, l’appropriation des règles encadrant le recours à l’isolement et la contention par les établissements hospitaliers est encore insuffisante.

Les contrôleurs ont ainsi rencontré : des mesures d’isolement prises dans une logique punitive ou par commodité pour le service ; des décisions de placement « si besoin » préparées à l’avance ; des mesures se prolongeant parfois jusqu’à huit jours ; des isolements en chambre ordinaire ; des registres tenus de manière formelle ou lacunaire ; des réflexions sur les pratiques d’isolement chez le personnel infirmier dont le personnel médical ne s’empare pas ; une quasi absence de formation des infirmiers comme des médecins sur le sujet.

Très souvent les chambres d’isolement ne sont pas adaptées à  leur  usage : pas d’accès à la lumière naturelle ou à l’air libre, intimité non respectée, caméras de surveillance filmant les toilettes et la douche,  sanitaires non accessibles librement ou remplacés par des seaux hygiéniques, absence de bouton d’appel etc.

Dans d’autres établissements des travaux ont conduit à de sérieux progrès. La formation à la gestion des crises est un facteur important de réduction du recours à l’isolement, plusieurs établissements visités ne possèdent pas de matériel de contention, dans l’un d’eux il n’existe même pas de chambres d’isolement.

Il n’est pas acceptable que les dispositions législatives relatives à la gestion et à la réduction des pratiques d’isolement et de contention fassent encore figure de règles optionnelles appliquées de manière formelle, sans impact sur les pratiques. La ministre de la santé doit mettre en place une politique volontariste de contrôle et de formation afin de garantir leur application.

• L’exercice des voies de recours

Dans la majorité des établissements visités, le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD) reste très formel, mais on observe dans certains établissements que le nombre de levées de mesures prononcées par le JLD augmente progressivement, même si cette tendance reste modeste. Le rôle du juge est peu à peu conforté dans l’appréciation des décisions de placement en soins sans consentement, des progrès demeurent néanmoins nécessaires.

Il conviendrait que la justice développe une jurisprudence et des formations permettant un contrôle effectif et généralisé des mesures. Mais la loi ne précise pas toujours les compétences juridictionnelles sur les recours en matière de psychiatrie et des décisions pourtant lourdes de conséquences ne font pour le moment l’objet d’aucun contrôle.

Le CGLPL invite le législateur à étendre la compétence de contrôle du juge à d’autres mesures faisant grief en psychiatrie, telles que les décisions de placement en unité pour malades difficiles et les décisions de placement à l’isolement ou sous contention.

• Les droits fondamentaux au quotidien

Si la loi autorise les décisions de placement en soins sans consentement, elle ne permet aucune autre restriction de liberté liée à cette mesure. Ainsi, rien ne permet de penser qu’un patient en soins sans consentement doive ipso facto être privé d’aucune autre liberté, même celle d’aller et venir. De fait, l’hospitalisation sans consentement entraine des restrictions dans la vie quotidienne des patients. L’attention du CGLPL se porte sur l’effectivité des droits et des libertés, notamment sur celle des droits et libertés les plus simples, ceux qui, pour tout un chacun, marquent la vie de tous les jours.

• La liberté d’aller et venir

Cette liberté fait l’objet de restrictions dans la plupart des établissements. Dans les cas les plus graves, les unités sont toutes fermées, y compris pour les patients en soins libres ; dans d’autres cas, certaines unités sont ouvertes, mais des patients en soins libres peuvent être aussi placés en unités fermées. Fréquemment, les patients en soins sans consentement sont systématiquement placés en unités fermées.

Les causes ce ces situations sont diverses : quelquefois on invoque l’habitude, ailleurs la préoccupation de sécurité est constante et s’exprime très clairement par la peur de chacun qu’on lui fasse porter la responsabilité d’un incident ou d’une fugue.

Même si ces mesures sont très inégalement contraignantes, toutes sont d’une manière ou d’une autre abusives : ne devraient être placés en services fermés que les patients dont l’état clinique le justifie et seulement pendant la période nécessaire. Rien du reste n’interdit, comme le font certains hôpitaux, de poser une interdiction de sortir dans le cadre d’un contrat de soins, sans que l’on estime pour autant nécessaire de fermer les portes, de la même manière qu’une interdiction de téléphoner à certaines heures peut être justifiée sans que pour autant on confisque systématiquement les téléphones.

• Le libre choix de ses vêtements

Le port obligatoire d’un pyjama semble être une contrainte d’un autre âge. Il n’est pourtant pas rare, même si cela ne concerne pas la majorité des établissements, que l’on croise des patients ainsi vêtus.

Parfois, le sujet n’a pas donné lieu à réflexion et les soignants interrogés ne peuvent se référer qu’à l’habitude ou fournir des réponses évasives. Dans certains établissements le port du pyjama est quasi- systématique pour les patients en soins sans consentement, au moins les premiers jours de l’admission, comme une manière de les identifier. Dans un établissement très ouvert, le port obligatoire du pyjama est une sorte de compensation à l’ouverture de principe des chambres et des unités, c’est-à-dire une forme « non immobilière » d’enfermement.

Le CGLPL rappelle que le port obligatoire du pyjama ne peut résulter d’une mesure générale, mais seulement d’une décision médicale, c’est-à-dire prise par un médecin après examen d’un patient, individualisée et régulièrement révisée.

Dans ses conclusions, la CGLPL déplore que « la culture de la bienveillance qui prévalait en psychiatrie s’est érodée et que la potentielle “dangerosité” du malade, le plus souvent fantasmée, a pris une place grandissante. (…) . Aujourd’hui, la plupart des services de psychiatrie sont des structures closes, limitant sans raison la liberté d’aller et venir des patients. Pourtant, il est possible de soigner mieux en enfermant moins. »

  • Rapport annuel 2018, CGLPL, éditions Dalloz, mars 2019. En savoir plus sur le site de la CGLPL. Photo Patient placé en chambre d’isolement dans un hôpital psychiatrique © JC Hanché pour le CGLPL