Focus sur le dispositif DASP Covid-19 de l’EPSM Daumézon
Comment prendre en charge l’impact psychologique de la crise du Covid-1919 ? L’EPSM Georges Daumezon a mis en place un dispositif d’accueil et de soutien psychologique dédié, le DASP Covid-19.
Notre objectif, avec ce dispositif (actuellement toujours en place), était de proposer un espace d’accueil, de soutien, de verbalisation dans un contexte chaotique lié à l’épidémie de Covid -19. Nous avons souhaité repenser le lien social, que ce soit par téléphone ou dans des espaces de convivialité dédiés en respectant scrupuleusement les recommandations sanitaires : prendre un café, échanger en présence, percevoir un sourire à travers le masque… Mettre en mot permet ainjsi de limiter le ressenti de stress qui fragilise les défenses psychiques et peut entrainer potentiellement des troubles psychiques comme les états de stress aigu ou de stress post-traumatiques. D’autres troubles peuvent également témoigner du combat de notre appareil à penser face à ce bouleversement environnemental : troubles du sommeil, consommations de substances psychoactives, baisse de la motivation, abolie, crises d’angoisses, impulsivité…
Une prise en charge adaptée au contexte sanitaire
Le DASP Covid-19 a donc été mis en place et proposé à l’ensemble de la population du Loiret dès le lundi 6 avril 2020.
Il est géré et coordonné par l’équipe de Psychotraumatisme de l’EPSM G. Daumézon et est constitué d’une permanence de psychologues, de psychiatre, de secrétariat et d’ASH.
Le premier lien se fait par le biais de la secrétaire, qui propose directement à l’appelant un entretien téléphonique avec un psychologue de permanence. Il s’agit ainsi, d’un premier contact et d’un espace de « dépose émotionnelle » avec une contenance et une écoute bienveillante. Après évaluation clinique, plusieurs propositions sont faites aux personnes :
- Une présence téléphonique sur le DASP : Nous proposons aux appelants de rappeler le dispositif s’ils en ressentent le besoin. Ils ont la possibilité de demander le même psychologue lors de l’appel suivant.
- Une prise en charge physique sur le DASP : Les professionnels proposent dans ce cas, un entretien sur place ou une orientation sur des séances de relaxation et/ou sophrologie en présence ou téléphonique (Séances proposées par des membres de l’Unité Fonctionnelle de Thérapie Comportementales et Cognitives de l’EPSM)
- Une orientation vers les Centres Médico-Psychologiques : Pour une prise en charge plus soutenue et pluridisplinaire à long terme. Il nous arrive d’orienter vers les CMP de secteur, auquel cas un travail de liaison est fait pour accompagner le futur patient dans sa prise en charge.
- Une orientation vers la filière de psychothérapies de l’hôpital : Notre établissement propose une filière intersectorielle de psychothérapies spécifiques dans laquelle se trouve : Une unité de psychotraumatisme, une unité de TCC, des Thérapies familiales, de l’art-thérapie et des Psycholothérapies d’Orientation psychanalytique. Une indication pour l’une de ces spécificités peut être pensée et effectuée.
Dans près de 70% des cas, un simple espace d’écoute téléphonique permet de distancier l’envahissement des angoisses et répond aux besoins du patient.
Quelles problématiques apparaissent au travers de cette prise en charge spécifique ?
A l’heure de la rédaction de cet article, nous avons traités environ 80 appels. Seuls 10% était des professionnels de santé. Parmi les appels, près de 15% ont bénéficié de plusieurs entretiens téléphoniques et 3 personnes ont été reçues physiquement sur le dispositif. Nous notons également une majorité (85%) d’appelants féminins.
– Quand l’anxiété déborde
La majorité des appelants évoque un sentiment de stress et exprime des symptômes d’anxiété se présentant sous forme de crises d’angoisse, d’obsessions (de contamination notamment), de compulsions (lavage, vérification), de trouble du sommeil, de consommation d’alcool…
Par exemple : une personne évoque l’apparition de comportements excessifs de nettoyage, de vérification de température s’apparentant à des Troubles Obsessionnels Compulsifs. Sa femme explique : « Il n’a jamais fait çà de sa vie », « Impossible de le raisonner», « Il prend sa température toutes les heures, persuadé d’avoir contracté le COVID-19 ». Nous observons également l’incompréhension de ce qui se passe psychiquement pour des personnes qui n’ont auparavant jamais appréhendé de difficultés de ce type. Ainsi, un rôle psychoéducatif permet de rassurer : accueillir, informer et déculpabiliser apportent un soulagement de la personne. Des outils et techniques de gestion du stress seront également proposés et conseillés, pour baisser la charge anxieuse et décentrer l’esprit de la source anxiogène.
Ces réponses adaptatives au stress peuvent s’entendre comme des tentatives de restauration de l’équilibre psychique. Et bien qu’elles soient fonctionnelles pour faire face à un danger, si ce système de vigilance se maintient dans la durée le risque d’épuisement et ainsi de symptômes de troubles anxieux, d’état dépressifs ou autres troubles peuvent apparaître.
Les sources de cette anxiété sont la plupart du temps liées à la contamination : être soi-même contaminé ou des personnes aimées et/ou, contaminer son entourage (des affects de culpabilité apparaissent dans cette situation avec le sentiment de responsabilité très souvent appuyé par les médias avec cette idée : « si vous restez chez vous, vous sauvez des vies, si vous sortez, vous serez responsables de l’augmentation des décès… »).
Depuis le 11 mai, nous notons une recrudescence anxieuse liée au déconfinement : de nombreuses cognitions dysfonctionnelles se sont ancrées : « le monde est dangereux ; Je peux mourir en touchant quelqu’un…). Ces cognitions amènent des comportements d’isolement, d’enfermement sur soi-même, de retrait social… Un travail cognitif est primordial à ces patients pour limiter le renforcement de ces comportements pouvant être à long terme néfastes et sources de grande souffrance s’ils sont maintenues même après la crise.
– Incompréhension, frustration que dit leur colère ?
Les appelants évoquent souvent une incompréhension, un sentiment d’injustice qui peuvent s’exprimer par des comportements agressifs. La colère est une émotion qui n’arrive pas seule, elle est l’expression d’un affect non accessible dans immédiateté (tristesse, peur, culpabilité… ). La peur de perdre son commerce, la peur de perdre un être aimé provoque des processus de projection de son ressenti interne sur l’autre. Ce surplus émotionnel non maîtrisé peut s’exprimer par des colères, de l’impulsivité dont l’entourage pâtit et qui peut amener des individus à avoir besoin d’une aide.
Dans ces situations, le tout est de pointer l’émotion sous-jacente à ces comportements agressifs pour faire redescendre le surplus émotionnel en l’accueillant sans jugement, en l’entendant et en y mettant des mots.
Les conséquences de cette mauvaise gestion de la colère peuvent amener des difficultés familiales : mésententes, problématiques de couples ou familiales sont augmentées. Au niveau systémique un nouvel équilibre doit être trouvée. Notre rôle sera à nouveau d’informer, expliquer, déculpabiliser, accompagner dans la recherche de stratégies plus adaptées.
Concernant les soignants : la colère et la peur semblent être les émotions qui priment. Colère et frustration envers les responsables. L’absence de considération face au manque de moyens est une source de souffrance indéniable. On note également que leurs missions s’élargissent et entraînent une sidération : « C’était à nous de mettre les corps dans les cercueils car les pompes funèbres n’avaient pas de matériel de protection ». « Le plus difficile n’est pas l’appréhension du décès de nos résidents mais notre impossibilité de les accompagner dans leur fin de vie comme nous aimerions et aurions dû le faire ».
– Etats dépressifs : lassitude, ennui, manque de motivation
Nous observons de nombreux appels autour de cette problématique qu’est l’isolement : les conséquences directes du confinement. La séparation d’avec les proches est une épreuve difficile pour de nombreuses personnes : beaucoup d’appels de personnes âgées ou seules dont la vie quotidienne était rythmée par des activités sociales diverses : les visites de leur famille, amis, les moments conviviaux : partie de belote, visites aux professionnels de santé, routine hebdomadaire de visiteurs divers (facteurs, livreurs…). Ainsi dans beaucoup de verbalisation nous observons une certaine lassitude, des manques de motivation pouvant parfois aller jusqu’à des idées suicidaires. Le manque de visibilité sur l’avenir et l’effondrement des projets personnels et professionnels sont les sources de ces états dépressifs. ( «J’avais créé mon entreprise avec les dernières forces que j’avais, je n’aurai pas le courage de recommencer »)
– Un sommeil agité qui montre que le psychisme est mis à dure épreuve
Les troubles du sommeil sont également sur-représentés dans les appels reçus : troubles de l’endormissement, insomnies, hypersomnies, cauchemars … Le sommeil illustre l’état émotionnel dans lequel se retrouvent les individus. N’oublions pas qu’il permet également à l’appareil psychique de traiter les informations reçus dans la journée. Peut être que la période amène un matériel cognitif plus dense que d’habitude et met au travail notre appareil à penser pendant la nuit.
Finir sur une note positive
Bon nombre d’appelants trouvent en eux des ressources méconnues. Certains expriment le plaisir des moments retrouvés en famille dans un rythme de vie qui filait. Cette pause dans le temps permet à nombre de personnes de se redécouvrir des sources de plaisir laissés de côté : certains se sont mis au jardinage, à la relaxation, à la cuisine. L’obligation d’être à l’arrêt permet un changement de regard centré maintenant sur l’instant présent et montre aux individus leur capacité d’adaptabilité et d’ajustement. La plupart des appelants réussissent à trouver du positif dans cette crise sanitaire, ce qui montre également des ressources non négligeables de la majorité de la population.
Anne Kerlero de Rosbo, psychologue clinicienne