Au cinéma : « Les heures heureuses » de la psychiatrie
Alors que la psychiatrie ne cesse de se dégrader depuis plus de vingt ans, ce documentaire retrace une aventure collective et intellectuelle majeure qui mêle courage politique et audace au service d’une humanité retrouvée. Sous le régime de Vichy, 45 000 internés sont morts dans les hôpitaux psychiatriques français. Un seul lieu échappe à cette hécatombe. À l’asile de Saint-Alban, soignants, malades et religieuses luttent ensemble pour la survie et accueillent clandestinement réfugiés et résistants. Grâce aux bobines de films retrouvées dans l’hôpital, Les Heures Heureuses nous plonge dans l’intensité d’un quotidien réinventé qui a révolutionné la psychiatrie d’après-guerre.
La psychothérapie institutionnelle
Le terme psychothérapie institutionnelle désigne l’ensemble des pratiques et des théories qui ont été élaborées à l’hôpital de Saint-Alban pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette philosophie du soin place le malade au centre du dispositif afin qu’il puisse prendre une part active à la gestion des activités de l’hôpital, au sein du club thérapeutique. La structure hospitalière n’est pas considérée comme un établissement figé mais comme un lieu vivant qui doit permettre l’institution d’une vie collective et d’une psychothérapie adaptée à chacun des malades.
Interroger les lieux
Après la clinique de La Borde, une piscine municipale et une gare TGV, la réalisatrice s’intéresse avec Les Heures heureuses à un hôpital psychiatrique de Saint-Alban : « Il s’agit à chaque fois d’interroger la norme et l’accueil de la singularité. Observer un lieu jusqu’à y déceler des signes infimes qui font dérailler, à la marge, les dispositifs prévus pour empêcher justement l’imprévisible […]. »
Archives
Le film mêle des archives filmées par les infirmiers de l’hôpital et des images tournées par le psychiatre Tosquelles. La réalisatrice connaissait l’existence de ces vidéos mais ignorait combien il y avait de films et sur quelle période ils avaient été tournés. C’est lors de repérages dans l’ancienne bibliothèque de l’hôpital que Martine Deyres a découvert les cartons dans lesquels les films étaient rangés. Projeter ces images a suscité chez elle une vive émotion : « Même si je savais que ces films existaient, tout ce que l’on m’avait raconté depuis des années surgissait devant moi. J’ai compris que quelque chose d’important se mettait en route. Comme si c’était le bon moment, pour moi, de les découvrir. Ces images amateurs sont modestes, elles peuvent paraître anodines. Je considère que ma chance a été de m’y confronter en ayant une conscience plus aigüe des notions de « vie quotidienne », d’« ambiance », de l’importance du club des malades, qui étaient fondamentales pour les psychiatres de Saint-Alban. »
Une voix off polyphonique
Le film ne montre pas à l’image les témoins mais fait entendre leur voix. La réalisatrice revient sur ce choix : « L’aspect polyphonique était en effet important pour moi. Dès l‘écriture, nous avions conscience que cette histoire est une histoire à plusieurs voix mêlées qui ne se confondent pas : il y a la parole des infirmiers-villageois, celle des médecins, celle des malades et celle des enfants. Ils ont tous, à leur manière, participé à la réinvention de l’hôpital. Ne pas les montrer est une manière concrète de faire entendre leur voix, de s’ajuster à leur accent, à la manière singulière de s’exprimer de chacun et de mesurer de quelle diversité était composé le collectif. »
En salle le 20 avril 2022/ 1h 17min / Documentaire De Martine Deyres Par Anne Paschetta, Martine Deyres