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30/09
2022

« Lilou s’assied, me tourne le dos et fond en larmes…. »

Déscolarisée depuis le primaire, Lilou, 20 ans, vit recluse avec sa mère dans un studio insalubre. Face à cette situation sociale et médicale préoccupante, que faut-il prioriser ?

J’ai rendez-vous pour un premier entretien avec Lilou, 20 ans. Quand je viens à sa rencontre dans la salle d’attente, je découvre une jeune femme prostrée, les yeux baissés et accrochée à sa mère comme un tout-petit. Je l’invite à me suivre, seule, mais sa mère secoue la tête : « Ce n’est pas possible, ma fille ne peut se séparer de moi. » Dans un flot de paroles, elle m’explique que Lilou a subi des traumatismes, et qu’elles résident dans un quartier dangereux… La jeune femme se lève cependant et esquisse un mouvement, mais sa mère lui emboîte le pas. Devant mon insistance, elle me dit qu’elle attendra debout derrière la porte.

Une situation hors norme

Dans mon bureau, Lilou s’assied, me tourne le dos et fond en larmes. Je la laisse se calmer, puis lui pose des questions auxquelles elle répond par des signes de tête et des bribes de mots. Je dois tendre l’oreille… Je reformule pour être sûre d’avoir bien compris une situation qui me paraît d’emblée hors norme.

Lilou dit rester enfermée chez elle toute la journée depuis environ dix ans. Elle est déscolarisée depuis le CM1. Née en France, elle a vécu quelques années en Croatie, mais n’a pas pu reprendre une scolarité à son retour dans l’Hexagone, elle évoque une « phobie scolaire ». Elle a de rares contacts téléphoniques avec son père, qui vit aux États-Unis. À l’évocation de sa mère, elle se remet à pleurer. Elle craint que cette dernière meure et qu’elle ne puisse se débrouiller seule. Lilou n’ose pas parler aux gens, aller vers les autres la tétanise. Elle me tend son téléphone portable où elle a retranscrit de manière systématique tous les faits et gestes de sa mère depuis des années, dans une expression fluide et aisée.

Sa mère ne travaille pas, ne paye plus le loyer de leur studio et n’a plus de papiers. Elle fait la lessive dans la baignoire car la machine à laver est en panne. Elle entasse des boîtes et des emballages inutiles, garde les épluchures et s’énerve quand Lilou tente de faire du rangement. La mère soupçonne que les voisins lui veulent du mal, qu’ils ont installé des caméras dans leur studio et complotent contre elle. Cafards et fourmis grouillent. Lilou dort avec sa mère, qui lui interdit de sortir seule, ce serait dangereux. Très angoissée, Lilou a des idées noires, de forts sentiments de culpabilité, et pleure tous les jours. Elle a trouvé sur Internet le numéro du Centre médico-psychologique (CMP), qui lui a donné le numéro de notre consultation.

Maintenir un lien

Lilou me dit très justement que sa mère est malade. Comme beaucoup de jeunes qui poussent la porte de notre consultation, elle voudrait d’abord qu’on s’occupe de cette dernière.

Je reçois enfin la mère, qui me tient des propos confus où perce une angoisse massive par rapport à sa fille, mêlée à des considérations sur la guerre en Ukraine, les drogués du quartier et les voisins malfaisants. Je la recentre sur sa fille, qui est venue nous demander de l’aide. J’explique que Lilou présente des symptômes dépressifs et a besoin d’un accompagnement, voire d’un traitement médicamenteux. En attendant l’évaluation psychiatrique, je vais la recevoir en entretien infirmier.

En réunion d’équipe, nous nous interrogeons sur la prise en charge. Faut-il prévenir les services sociaux ? Programmer très vite une visite à domicile avec le CMP, pour évaluer l’état de l’appartement et tenter d’hospitaliser la mère délirante, au risque de rompre un début d’alliance thérapeutique ? Que prioriser ? Puisque la situation est ancienne, il semble qu’il n’y ait pas de caractère d’urgence. Nous décidons de nous occuper d’abord de Lilou.

La psychiatre diagnostique chez la jeune femme un trouble dépressif caractérisé et prescrit un traitement antidépresseur ainsi que des entretiens réguliers pour favoriser son autonomie. Dans un second temps, la médiatrice de santé-pair proposera d’aider la mère dans ses démarches administratives, première prise de contact pour l’amener vers des soins.

Au bout de quelques semaines, la situation évolue doucement. Lilou prend son traitement malgré la réticence de sa mère et ne me tourne plus le dos lors des entretiens. Les deux femmes viennent régulièrement aux rendez-vous, même si on note une grande résistance au changement de la part de la mère, qui refuse que Lilou se déplace seule alors qu’elles habitent juste à côté. La jeune fille confie qu’elle aimerait être hospitalisée pour se séparer de sa mère. Nous avançons à petits pas, pour consolider leur adhésion fragile aux soins…

Virginie De Meulder
Infirmière, Consultation Nineteen pour les jeunes adultes, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.