A voir au cinéma – Sur L’Adamant
L’Adamant est un Centre de Jour unique en son genre. Ouvert en juillet 2010, c’est un bâtiment flottant. Édifié sur la Seine, en plein coeur de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, leur offrant un cadre de soins qui les structure dans le temps et l’espace, les aide à renouer avec le monde, à retrouver un peu d’élan. L’équipe qui l’anime est de celles qui tentent de résister autant qu’elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie. Ce film/documentaire réalisé par Nicolas Philibert, nous propose de monter à son bord et d’aller à la rencontre des patients et soignants qui en inventent jour après jour le quotidien. Ces extraits d’entretien avec le réalisateur nous livrent l’essentiel d‘une démarche cinématographique au plus près de son sujet et de ceux qui l’habitent.
L’Adamant, une échappatoire au marasme qui touche la psychiatrie
« J’ai commencé à entendre parler de l’Adamant il y a une bonne quinzaine d’années, quand ce n’était encore qu’un projet« , raconte le réalisateur Nicolas Philibert. « J’ai toujours été très attentif et très attaché au monde de la psychiatrie. Un monde à la fois dérangeant et j’ose le dire comme ça, très stimulant : il nous donne constamment à réfléchir sur nous-mêmes, sur nos limites, nos failles, sur la marche du monde. La psychiatrie est une loupe, un miroir grossissant qui en dit long sur notre humanité. Pour un cinéaste c’est un champ inépuisable. » Et de poursuivre : « L’Adamant, c’est un lieu constamment en prise avec l’extérieur, ouvert à tout ce qui se passe, et qui accueille toutes sortes d’intervenants. Notre tournage en est un exemple éclairant. Un lieu qui s’efforce de faire un travail sur lui-même, dans le droit fil de la « psychothérapie institutionnelle« . Et puis le lieu est très beau, cela compte pour beaucoup : les espaces, les matériaux, son emplacement, la proximité de l’eau, quand la plupart des lieux d’accueil, sans être toujours sinistres et froids, se contentent d’être fonctionnels. »
« L’Adamant a su rester un lieu vivant et attractif, aussi bien pour les patients que pour les soignants, parce qu’il ne se repose pas sur ses acquis ». Nicolas Philibert
Se faire accepter, faire accepter la présence d’une caméra
« Avant de pouvoir récolter il faut semer : gagner la confiance de celles et ceux que l’on veut filmer. Par chance, une partie de l’équipe soignante et plusieurs patients connaissaient certains de mes films – Nicolas Philibert a réalisé un documentaire sur la Clinique de La Borde en 1996 – Cela m’a aidé. J’ai pris le temps d’exposer mon projet sans chercher à faire mystère des hésitations que je pouvais avoir, en les partageant au contraire avec les uns et les autres. Cela a joué aussi. Ils ont compris que si j’étais exigeant, je l’étais en premier lieu envers moi-même. Enfin, ils ont vu que j’étais prêt à me laisser porter, que le film allait se construire au gré des circonstances, des contingences, des disponibilités, et non à partir d’une position de surplomb. Finalement, il y a eu une adhésion assez spontanée. De la curiosité aussi. Et pour beaucoup, le désir d’en être. Quelques personnes ont demandé à ne pas être filmées, sans pour autant être hostiles
à notre présence« .
« Parfois il suffit d’être là, attentif à ce qui nous entoure, et d’y croire assez pour que cet endroit devienne un lieu, ces hommes et ces femmes les personnages d’un récit, ces actions à première vue anodines d’authentiques histoires ». Nicolas Philibert
Une construction remplie d’humanité
« Je tenais beaucoup à ce qu’on entende les patients. Leur sensibilité, leur lucidité, leur humour parfois. Leurs mots,
leurs visages. Leur vulnérabilité, qui viendrait çà et là rencontrer la nôtre. Je voulais que l’on puisse sinon nous identifier à eux, du moins reconnaître ce qui nous unit, par-delà nos différences : quelque chose comme une humanité commune, le sentiment de faire partie du même monde. Les soignants ne sont pas en retrait dans le film : on les voit discuter avec des patients, animer des ateliers (le dessin, les comptes), co-animer des réunions, bref ils sont pleinement dans leur fonction, attentifs aux uns et aux autres, souvent discrets mais bien là. On pourrait dire que soigner c’est d’abord soigner l’ambiance, ce n’est pas frontal, c’est subtil, souvent imperceptible, cela passe par mille et un détails« .
« Les soignants ne passent pas leur temps à mettre leur statut en bandoulière, à se prendre pour ce qu’ils sont. La frontière entre soignants et soignés, si frontière il y a, n’y est pas dressée en rempart ». Nicolas Philibert
Un film comme un éloge du flou
« Même s’il n’en donne qu’une vision fragmentaire et subjective, je crois que le film traduit assez bien l’ambiance, l’esprit qui anime l’Adamant. J’ai sans doute quelques regrets. Je n’ai pas su filmer Rhizome, l’atelier de conversation du vendredi, dont certaines sont séances sont magnifiques, et c’est à peine si on voit l’atelier radio, mais un montage conduit inévitablement à des choix douloureux. Le film se termine dans le brouillard… C’est une idée que j’ai eue très tôt à laquelle je tenais beaucoup. J’ai fini par en avoir un peu, mais j’aurais aimé qu’il soit beaucoup plus enveloppant. Comme une sorte d’éloge du flou. Un brouillage des contours. Sous-entendu : de cette sacrosainte normalité« .
Voir la bande-annonce de Sur L’Adamant, Ours d’Or du meilleur film au 73e Festival de Berlin (février 2023) et au cinéma le 19 avril 2023
• Sur L’Adamant, un film de Nicolas Philibert, France, Japon, 2022, 1h49. Distribution Les films du Losange. En salle le 19 avril 2023.