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12/07
2023

De la légitimité de l’obligation vaccinale en période de crise

Le Comité Consultatif national d’Éthique (CCNE) publie son avis 144 « La vaccination des professionnels exerçant dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux : sécurité des patients, responsabilité des professionnels et contexte social », en réponse à la saisine de François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention. Cette dernière demande à « connaître l’avis du CCNE sur la définition de critères permettant de justifier ou non de la mise en place d’une obligation vaccinale, au regard notamment d’une interrogation sur les valeurs, entre la liberté individuelle d’une part et le bénéfice collectif et l’intérêt général qui sous-tendent le contrat social induit par la vaccination. » Conclusion du CCNE : « la décision politique d’une obligation vaccinale des personnels administratifs et soignants du médico-social et du sanitaire ne doit intervenir qu’en dernier recours. »

Cette réflexion se situe trois ans après le début de la pandémie de Covid-19, alors que le contexte épidémique est jugé favorable par Santé publique France et que la réintégration des soignants non vaccinés suspendus est effective depuis presque deux mois (décret 15 mai 2023), mais que les tensions des métiers du soin perdurent. Prenant en compte les enjeux historiques de l’adhésion ou non à la vaccination en France et les premiers enseignements de la crise sanitaire, le CCNE inscrit son travail dans un cadre prospectif, visant à guider les analyses et décisions de santé publique à venir.

La protection des droits fondamentaux des patients

Par cet Avis, le CCNE défend la protection des droits fondamentaux des patients, notamment les plus fragiles, et l’impératif de sécurité des soins. Dès lors, l’enjeu de réduire autant que possible le risque de transmission aux patients et aux résidents doit faire partie des principaux engagements des personnes travaillant dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux.

La nécessité d’une plus large sensibilisation et formation des soignants

Si au cours de la pandémie de Covid-19, les acteurs principaux du système de soins ont, dans leur quasi-totalité, respecté l’obligation vaccinale exigée par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, la résistance d’une infime minorité du personnel de soins à cette mesure a été le symptôme ultime de la dégradation de la confiance envers les autorités institutionnelles et politiques dans un contexte de tensions sur le système de soins. Pour répondre à cette situation, le Comité insiste sur l’importance de mener des actions de sensibilisation dans la formation initiale des professionnels en vaccinologie et sur les processus de décision conduisant aux recommandations ou obligations vaccinales qui les concernent. Plus largement, la situation actuelle amène à une réflexion collective et des études sur l’acceptabilité de ces mesures.

La vaccination : un outil de prévention efficace et complémentaire d’autres mesures

L’avis du CCNE rappelle que la politique vaccinale française s’est historiquement construite autour de la notion de solidarité et précise que la vaccination constitue un immense progrès et la meilleure arme pour protéger les enfants et les adultes d’un grand nombre de maladies infectieuses. Cependant, la vaccination ne peut être considérée comme l’unique moyen de prévention. Elle est complémentaire d’une palette d’outils dont disposent les soignants : le port du masque, les mesures d’hygiène, les solutions hydroalcooliques, les surblouses, l’aération des locaux, les tests de dépistage etc. C’est la combinaison de ces outils qui permet d’atteindre les objectifs de protection contre les risques infectieux des patients et des personnes travaillant en milieu de soins.

Distinguer période de crise et situation courante

Plutôt que de hiérarchiser les modalités de justification d’une obligation vaccinale, le CCNE préconise de faire la distinction entre période courante d’une part et contexte de crise sanitaire d’autre part. Cette distinction implique une appréciation la plus juste possible de la situation, fondée sur des connaissances partagées et expliquées à l’ensemble des acteurs. En fonction de cette évaluation, le CCNE préconise les mesures suivantes :

En contexte courant, le CCNE encourage l’information et l’incitation à la responsabilité visant à tout faire pour minimiser les risques pour les patients, en privilégiant le recours à des recommandations vaccinales ; l’obligation pouvant demeurer à l’entrée dans les études ou dans un poste, pour des vaccins ayant démontré un très haut rapport bénéfices-risques comme celui contre l’hépatite B par exemple1, et comme l’a évoqué récemment la Haute autorité de santé (HAS) à propos de la vaccination contre la rougeole dans sa recommandation du 14 juin 20232.

En cas de crise sanitaire3 mettant potentiellement en péril le système de soins, en présence d’un corpus scientifique solide garantissant l’efficacité (même modérée) et l’innocuité du vaccin concerné, le CCNE estime que la décision politique d’avoir recours à une obligation légale de vaccination des professionnels des secteurs sanitaires et médico-sociaux, bénéficiaires prioritaires de la vaccination, peut être légitime, sur la base de la prudence au regard d’un risque potentiel vis-à-vis des patients ou personnes fragiles et pour le maintien d’un système de soins fonctionnel.

« Ainsi, le CCNE estime que la question de l’obligation vaccinale pour les professionnels exerçant dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux ne peut se poser qu’en dernier recours. »

Co-construction et co-responsabilité

Afin de renouer le dialogue avec les acteurs du soin et du médico-social, le CCNE préconise que l’ensemble des décisions impliquant des mesures susceptibles de provoquer des dissensions au sein des équipes suivent des processus de co- construction avec les groupes professionnels cibles et les associations représentant les usagers. Le Comité demande à ce que les institutions mènent des actions d’information sur la manière dont l’expertise est produite pour les vaccins nouvellement introduits et que chaque établissement de soins désigne un référent vaccination pour relayer cette connaissance. Les autorités politiques et sanitaires, quant à elles, se doivent d’être exemplaires dans la manière dont elles décident, justifient et mettent en place des politiques vaccinales, a fortiori quand il s’agit d’obligations vaccinales.

Démocratie sanitaire

Plus de trois ans après le début de la crise sanitaire liée au Covid-19, le CCNE préconise de privilégier l’exercice de la démocratie en santé favorisant l’expression de toutes les parties prenantes, professionnels, experts du système de santé et usagers, notamment ceux qui appartiennent aux populations les plus vulnérables face aux pathogènes concernés.

Prospective

Afin de compléter cette réflexion, le CCNE engage à poursuivre les analyses et réflexions suivantes :
– la réflexion afin de distinguer la période de crise (pouvant dans certains cas justifier l’obligation vaccinale) qui est une décision politique, et la vaccination en période courante. Et définir quels sont les outils disponibles adaptés à chacune de ces deux situations ;
– en l’absence de données précises concernant la couverture vaccinale et le niveau d’hésitation vaccinale des professionnels travaillant en milieu de soins, le CCNE recommande le développement et la validation d’outils permettant de mesurer régulièrement ces éléments.
Enfin, le CCNE souligne la révolution en cours dans la production de vaccins contre de nouveaux pathogènes, et ce, dans un délai très réduit (plateforme ARNm). La réflexion sur la vaccination des professionnels du soin et du médico-social devra se poursuivre avec l’arrivée de ces nouveaux vaccins.

1- Comme l’a rappelé la HAS dans son avis du 29 mars 2023 : HAS, « Obligations et recommandations
vaccinales des professionnels. Actualisation des recommandations et obligations pour les étudiants et
professionnels des secteurs sanitaire, médico-social et en contact étroit avec de jeunes enfants. Volet
1/2 : diphtérie, tétanos, po-liomyélite, hépatite B, Covid-19
», 29 mars 2023.
2- HAS, « Obligations et recommandations vaccinales des professionnels. Actualisation des obligations et
recommandations pour les étudiants et professionnels des secteurs sanitaire, médico-social et en
contact étroit et répété avec de jeunes enfants. Volet 2/2 : coqueluche, grippe saisonnière, hépatite A,
rougeole, oreillons, rubéole, varicelle »
, 14 juin 2023.
3- Étant entendu ici d’un évènement impactant la santé des populations, le fonctionnement du système
de soins voire l’équilibre des sociétés.

• Avis 144 du Comité consultatif national d’éthique , communiqué du 11 juillet 2023 : « La vaccination des professionnels exerçant dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux : sécurité des patients, responsabilité des professionnels et contexte social ». L’avis 144 (PDF) a été voté à la majorité des membres du CCNE. A noter que cinq membres du CCNE ont souhaité la publication associée d’un texte intitulé « Opinion différente » inclus dans l’avis.