Cancer et troubles psychiques sévères : quels obstacles aux soins ?
Les personnes vivant avec un trouble psychique sévère qui déclarent un cancer subissent des nombreuses inégalités tout au long du parcours de soin, comme le montre cette nouvelle étude de l’Irdes : elles ont plus de difficultés à accéder aux examens diagnostiques recommandés ; le délai entre le diagnostic et la mise en place des traitements est augmenté ; les traitements sont plus invasifs et intenses et le suivi post-traitement est moindre.
La surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique a été reconnue comme problème de santé publique depuis une dizaine d’années en France. Cependant, les actions concrètes pour lutter contre cette surmortalité demeurent limitées et nécessitent une meilleure compréhension des parcours de soins somatiques complexes pour cette population présentant un cumul de vulnérabilités. Dans ce contexte, le projet de recherche Canopée (voir ci-dessous) s’appuie sur l’exemple du cancer, qui figure parmi les causes de décès les plus fréquentes chez les personnes vivant avec un trouble psychique, et pour lequel le taux de mortalité est doublé comparativement à la population générale. À partir de l’analyse des parcours de soins pour cancer, reposant sur une double approche qualitative et quantitative, cette recherche entend ainsi identifier ce qui permet de rendre compte d’éventuelles inégalités de santé au cours des prises en charge somatiques des patients, les moments des parcours de soins où elles peuvent survenir, et ce qui facilite ou entrave ces parcours.
Des inégalités multiples et complexes
Ce travail relève en particulier que des inégalités dans les parcours de soins pour cancer sont observables dès la phase diagnostique. Les femmes avec un cancer du sein et un trouble psychique préexistant apparaissent ainsi systématiquement moins susceptibles de bénéficier de tous les principaux examens diagnostiques (mammographie, biopsie du sein, échographie, IRM). Elles reçoivent un moins grand nombre d’examens diagnostiques au total et bénéficient moins fréquemment de la combinaison d’examens la plus recommandée. Par ailleurs, des diagnostics tardifs ou fortuits peuvent être attribués, dans les entretiens, à des plaintes – certes souvent peu spécifiques (fatigue, maux de tête ou de ventre, prise ou perte de poids) qui n’ont pas donné lieu à des consultations ou examens dédiés.
En termes de soins reçus, les chercheurs relèvent un recours à des traitements plus invasifs : dans le cancer du sein, les femmes vivant avec un trouble psychique sont plus susceptibles de subir des mastectomies totales et moins de bénéficier de chirurgies conservatrices (tout type de mastectomie partielle ou tumorectomie). Elles semblent également recevoir des traitements de moindre intensité puisqu’elles sont plus susceptibles d’avoir une prise en charge uniquement chirurgicale et moins susceptibles de recevoir une combinaison de traitements par chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie pouvant pourtant limiter les pertes de chance et récidives.
Les chercheurs pointent néanmoins qu’on ne peut pas « homogénéiser » indûment le groupe des personnes concernées, car les situations vécues sont très contrastées : ainsi « les ressources dont elles disposent (soutien social, stabilisation du trouble psychique, présence d’une équipe de psychiatrie impliquée dans le suivi somatique de ses patients, d’un dispositif de coordination des parcours de soins complexes…) » modifient substantiellement les parcours.
Par ailleurs, les différences identifiées dans les parcours de soins peuvent être liées à des adaptations aux spécificités des personnes suivies et à leurs choix, mais aussi à des préconceptions sur les difficultés associées aux troubles psychiques (stigmatisation), ou encore à une organisation inadaptée des soins que des politiques publiques seraient susceptibles d’améliorer.
Dépasser la fragmentation des soins
Dans leur conclusion, les chercheurs pointent des pistes d’action possibles, qui « passent par une prise en charge globale des personnes vivant avec un trouble psychique sévère qui dépasse la fragmentation des soins existante actuellement. » Les solutions gagneraient à s’appuyer sur les récents développements en cours en France – par exemple l’émergence des projets territoriaux de santé mentale visant à rapprocher les acteurs de la prise en charge, y compris somatique, des personnes vivant avec un trouble psychique à l’échelle locale. Elles pourraient également s’inspirer d’exemples étrangers – comme le concept de « reverse integrated care » qui vise à offrir aux personnes concernées l’accès à des soins somatiques coordonnés via les offreurs de soins de santé mentale. « Cela invite ainsi à penser des parcours de soins qui soient accessibles et adaptés à chacun des usagers, en incluant ceux qui peuvent cumuler des vulnérabilités ou présenter des caractéristiques pour lesquelles l’organisation des soins s’avère inadaptée. »
• Obstacles, ressources et contrastes dans les parcours de soins complexes : le cas du cancer chez les personnes vivant avec un trouble psychique sévère, Coralie Gandré, Delphine Moreau, Ibtissem Ben Dridi et Anna-Veera Seppänen, en collaboration avec le consortium Canopée, Questions d’économie de la santé, n°281, septembre 2023, en téléchargement sur le site de l’Irdes.