« Écouter les murs parler », une immersion à l’hôpital de Cadillac
Dans cet ouvrage « Écouter les murs parler », Ixchel Delaporte, journaliste et documentariste, « assiste à la naissance d’un continent » . Plus de deux mille patients par an passent à l’hôpital de Cadillac, en Gironde. « Ces hommes et ces femmes internés, sortis de différentes unités, sont comme des marionnettes endormies à qui l’on aurait donné vie. » Par ce récit intime et vibrant d’une saison à Cadillac, Ixchel Delaporte révèle une planète invisible.
Faisant tomber tabous et préjugés, Ixchel Delaporte nous raconte cette ville dans la ville et ses patients : leurs parcours cabossés, leurs rêves, leurs histoires d’amour, et les soignants sous pression face à la misère grandissante de l’hôpital.
Cadillac, la ville qui doit vivre avec les fous. On l’appelle la ville des fous. Pourtant, les touristes pourraient flâner dans Cadillac, une bastide en bord de Garonne à trente kilomètres de Bordeaux, sans soupçonner qu’elle abrite, en son centre, un hôpital psychiatrique, depuis le XVIIe siècle où cohabitent bipolaires, schizophrènes, psychotiques, de passage pour quelques semaines ou internées depuis vingt ans et plus. L’hôpital possède même son propre cimetière des oubliés, aux 4000 tombes. Les malades s’attardent aux terrasses des cafés. Certains logent en ville, après des années d’enfermement. Un marchandage permanent, aux règles invisibles, s’opère entre le dedans et le dehors, entre raison et folie.
« Un patient se ventouse littéralement à la fenêtre. Son visage, sa main, son corps. Puis il glisse et s’effondre lentement au sol. Il est maintenant par terre, allongé, tête vers le plafond, les pieds nus, un sac en bandoulière. De l’index, il semble compter les nuages. On le laisse. il est en sécurité. «
Pendant des journées, assise sur un banc dans le parc de l’hôpital, Ixchel Delaporte, a laissé les patients venir se confier à elle. Elle a entendu résonner les cris dans les unités fermées. Elle s’est attachée à ceux qui tentent de retrouver à l’extérieur une vie ordinaire, si précieuse. « En racontant la puissance de cet univers en soi, souligne l’auteur,j‘ai plongé dans les affres de la maladie mentale. J’ai avancé dans ce labyrinthe tortueux jusqu’à découvrir le singulier de ceux qui s’y pelotonnent. La folie n’est ni un état définitif, ni une essence. Elle peut essaimer partout, à des degrés divers, à plusieurs instants de vie. surgir au dépourvu, au détour d’un choc, d’une rupture, d’un accident. D’une rive à l’autre, de moi à eux, au-delà de nos effrois, il était une fois, à Cadillac, la folie en face, en plein coeur, révélatrice des profondeurs de notre humanité, de notre fragilité et insondable condition. »
« Bertrand, 49 ans, vit dans la fascination de l’univers. Dans un monde de trous noirs. Dans la solitude de sa logorrhée Je ne peux pas lui avouer ma phobie du vide et de l’univers. Pas à lui. Il égrène son expérience douloureuse de la psychiatrie. « Ça fait combien de temps ? » je demande. Vingt-quatre ans. D’abord à l’hôpital psychiatrique Charles-Perrens à Bordeaux. Un an à l’UMD de Cadillac. Puis dans une unité classique, à Marguerite. Constat d’une vie foutue, balance-t-il clairvoyant. «
• Écoute les murs parler, Ixchel Delaporte, L’Iconoclaste, octobre 2023.