Accélérer les coopérations et les partages de tâches entre professionnels de santé
La Haute Autorité de santé (HAS) veut opérer un « puissant changement de logiciel » pour renforcer les coopérations et les partages de tâches entre professionnels de santé. En effet, si le nombre de protocoles nationaux de coopération autorisés reste « faible », les résultats sont « remarquables ». Elle insiste sur le réel gain pour la qualité des soins et « a la conviction que cette politique publique doit franchir un nouveau cap ».
Dans un système de santé confronté à de multiples défis, les coopérations et les partages de tâches entre professionnels de santé, sont de nature à réduire les délais d’accès aux soins, à renforcer l’attractivité des métiers et à améliorer la qualité des services rendus. Dès 2008, la Haute Autorité de santé et l’Observatoire national des professions de santé (ONDPS), plaidaient ensemble[1] pour un « cadre rénové créant les conditions favorables au développement des nouvelles formes de coopération qui améliorent la qualité du système de santé ». A l’issue de 15 années d’efforts, la HAS a la conviction que cette politique publique doit franchir un nouveau cap.
Quinze années d’efforts constants
Les professionnels de santé travaillant en équipe peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération pour mieux répondre aux besoins des patients. Par des protocoles de coopération, ils opèrent entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de prévention ou réorganisent leurs modes d’intervention auprès du patient. Ces protocoles de coopération peuvent être, après avis de la HAS, déployés sur le territoire national[2]. Par ailleurs, des expérimentations d’organisations innovantes permettent de décloisonner le système de santé par la coopération entre professionnels[3]. Des modifications sont également intervenues dans les décrets de compétence de nombreux professionnels (orthoptistes, masseurs-kinésithérapeutes, pharmaciens d’officine, biologistes médicaux…)[4] et la pratique avancée a été développée pour les infirmiers[5].
Des résultats trop limités pour des actes associant pourtant qualité, sécurité et satisfaction
S’il est trop tôt pour mesurer les effets de toutes ces règlementations dont certaines sont très récentes, des résultats sont disponibles pour les protocoles de coopération.
Ainsi, fin 2023, on comptait 57 protocoles nationaux de coopération autorisés. Ils ont permis en 2022 à un peu plus de 400 000 patients de bénéficier de près de 600 millions d’actes délégués. Ce résultat est d’autant plus remarquable que très peu d’évènements indésirables ont été rapportés (0,12 %) et qu’aucun évènement indésirable grave n’a été déclaré. S’agissant de la qualité des actes délégués, un peu moins de 40 000 patients (9,1 %) ont été réorientés vers les délégants dont plus du tiers pour les seuls protocoles d’échographie entre radiologues et manipulateurs en électroradiologie médicale. D’autres réorientations sont aussi intervenues simplement parce qu’elles étaient prévues aux protocoles[6]. Et si la satisfaction des patients n’a pas encore bénéficié d’une évaluation standardisée, celle des professionnels impliqués se révèle dès aujourd’hui acquise.
Pour autant, l’application de ces protocoles est très hétérogène : quand certains concernent plusieurs milliers de patients, d’autres n’en concernent que quelques dizaines. Le chiffre de 57 protocoles nationaux reste faible. Par ailleurs, 106 protocoles locaux ont été autorisés sans que nous disposions d’une évaluation des flux de bénéficiaires, et très peu ont évolué vers une application nationale (voir en psychiatrie notre article). Enfin des obstacles organisationnels et financiers mettent en échec les progrès attendus. Ainsi, un retour d’expérience conduit récemment par la HAS a fait apparaître que, 21 mois après l’avis favorable donnée par elle en mai 2022 sur le protocole de coopération entre médecins et infirmiers pour la prise en charge à domicile des patients âgés ou en situation de handicap et en difficultés pour se déplacer aux cabinets des médecins, la rémunération du protocole n’est pas fixée.
Du côté des pratiques avancées des infirmiers, on ne comptait fin 2022 que 1 718 diplômés en 4 ans, loin de l’ambition affichée : 5 700 diplômés en 2027.
La HAS observe ainsi que nous n’avons pas atteint à ce jour tous les objectifs attendus d’amélioration de la prise en charge des patients, d’attractivité des métiers de la santé et de réponse aux tensions sur l’offre de soins. Et ceci, alors même que la création des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les potentialités du numérique en santé offrent des opportunités nouvelles pour des coopérations et des partages de tâches, adaptées à chaque territoire. Il faut donc lever les principaux obstacles recensés par les acteurs eux-mêmes comme par les missions d’information ou d’évaluation :
Les complexités administratives pour la mise en œuvre des protocoles de coopération ;
L’insuffisance ou parfois l’absence de financement dédiés tant dans le déploiement que dans l’évaluation des nouveaux modes de coopération, tous modes confondus ;
L’absence de soutien aux équipes qui veulent s’engager dans la voie des coopérations dont la dynamique repose, non sans fragilité trop souvent, sur les personnes initiatrices ;
Le nombre réduit de compétences partagées.
Changer de logiciel
La recherche d’un plus haut niveau de coopérations entre professionnels ne peut avoir d’effets sur la qualité du système de santé qu’à la condition d’opérer un puissant changement de logiciel. Nous le devons à nos concitoyens qui attendent des prises en charge et des parcours de soins de qualité. D’autant plus légitimement qu’ils financent le système de santé par leurs impôts et taxes, leurs cotisations sociales et leurs assurances complémentaires. S’il fallait ne prendre qu’un seul exemple, alors qu’un(e) patient(e) doit attendre parfois 6 à 8 mois pour accéder à un centre de traitement de la douleur, les partages de tâches et les protocoles de coopération constituent une solution robuste pour réduire les souffrances et améliorer la qualité de vie de plusieurs milliers de patients.
S’agissant des protocoles de coopération, leur « vie administrative » doit être simplifiée. La HAS lorsqu’elle promeut des recommandations dans le domaine des parcours de soins renvoie à des partages de tâches, fondés notamment sur des protocoles de coopération. La mise en œuvre de ces recommandations est largement conditionnée par le déploiement effectif, rapide et sécurisé de tels protocoles, au plus près des besoins des personnes et des équipes professionnelles mobilisées. La HAS propose donc d’aménager les procédures sur la base d’un cahier des charges national qu’elle aura élaboré et que les agences régionales de santé (ARS) pourraient appliquer afin d’examiner plus rapidement les demandes de protocoles dans des garanties de sécurité et de qualité conservées.
Il est indispensable de soutenir les équipes qui font émerger les protocoles, garantissent leur sécurité, forment les professionnels et induisent les processus administratifs de validation. De tels moyens sont inégalement offerts selon les agences régionales de santé et les hôpitaux ou les maisons ou centres de santé. Ainsi quand elles se mobilisent en synergie avec les acteurs, les ARS connaissent le succès, comme le montrent le nombre de protocoles opérationnels en Nouvelle Aquitaine, en Occitanie ou en Ile de France. Il conviendrait que les ARS mobilisent plus fortement les ressources d’appui nécessaires au sein de chaque agence ou délèguent contractuellement, avec un financement dédié, le soutien méthodologique aux structures d’exercice collectif ou aux CPTS.
La rémunération à l’acte bloque le développement des coopérations. Il devrait être créé un forfait de coopération suffisamment valorisant pour tous, le cas échéant dans le cadre de négociations avec l’Assurance Maladie, à charge pour les professionnels impliqués dans la coopération de faire leur affaire de la répartition. Des expérimentations montrent que cela est tout à fait possible, et ce d’autant plus que les structures d’exercice collectif ou les CPTS peuvent faire office de garant méthodologique et de la répartition du forfait de coopération.
Mieux évaluer
Dans une perspective d’amélioration de la qualité, les partages des tâches doivent être évalués de manière rigoureuse pour trois raisons au moins :
Pour garantir la qualité des soins dans ces nouvelles approches, compte tenu des évolutions des modes d’organisation et des postures professionnelles qu’elles soulèvent ;
Pour sédimenter les savoirs acquis dans les partages et les coopérations et transmettre ces savoirs spécifiques dans les formations initiales des professionnels concernés comme dans les processus de développement professionnel continu ;
Pour guider la réflexion et les initiatives règlementaires dans la mesure où ces partages et coopérations sont le plus souvent une étape avant de modifier les décrets de compétence en fonction des pratiques et des résultats cliniques observés. L’accès direct du patient au kinésithérapeute mériterait d’ailleurs de bénéficier d’une évaluation robuste s’il doit servir de base à de futures initiatives dans d’autres domaines.
Mieux évaluer dans cette triple perspective appelle par ailleurs un financement clairement identifié dès l’origine des projets pour permettre aux partenaires de la coopération et du partage des tâches de faire appel à des opérateurs de l’évaluation sur la base d’un guide méthodologique préalablement déterminé. A condition que ces orientations méthodologiques envisagent aussi l’analyse des bénéfices organisationnels et d’amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels concernés qui sont de puissant facteur de motivation pour les partages de tâches et les protocoles de coopération.
Les collaborations entre professionnels de santé, quelles que soient leurs formes dépassent la simple réponse à des difficultés conjoncturelles d’accès aux soins. Elles méritent d’être développées parce qu’elles assoient la crédibilité du « virage ambulatoire » choisi par notre pays, sont cohérentes avec l’objectif d’amélioration continue de la qualité des soins et favorisent la cohésion des équipes professionnelles mobilisées. En outre, les partages de tâches et les protocoles de coopération permettent d’intégrer les innovations technologiques autant qu’ils favorisent les innovations organisationnelles indispensables à l’amélioration de l’expérience comme des résultats observés par les patients.
[1] Haute Autorité de Santé – Délégation, transfert, nouveaux métiers… Comment favoriser les formes nouvelles de coopération entre professionnels de santé (has-sante.fr)
[2] Article 66 de la loi du 21 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (OTSS) complétée par l’article 3 de la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite « loi Rist »
[3] https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-lfss-2018-innovations-organisationnelles-pour-la-transformation-du/article-51 ou https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000036339172
[4] Lois de financement de la sécurité sociale pour 2022 et LOI n° 2023-379 du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé
[5] Loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé
[6] Enquête conduite par la Direction générale de l’organisation des soins (DGOS) et la Direction générale de la sécurité sociale (DSS)
Communiqué de presse,HAS 13 mars 2024.