Isolement et contention en 2022 : des disparités entre établissements qui interrogent
Cette étude de l’IRDES fournit des données récentes sur le recours aux mesures d’isolement et de contention mécanique en psychiatrie en France, et propose un panorama inédit de la population concernée. L’ampleur des variations du recours à ces pratiques soulèvent des interrogations en lien avec les enjeux éthiques et juridiques et permet de repérer des éléments susceptibles de réduire ces pratiques coercitives.
L’isolement et la contention en psychiatrie constituent des pratiques de dernier recours destinées à répondre à des situations de crise et ne devant être mises en oeuvre qu’à titre exceptionnel, en accord avec les recommandations de bonnes pratiques. En France, la réduction de leur usage, inscrite à l’agenda politique international, figure parmi les objectifs de la Feuille de route ministérielle santé mentale et psychiatrie lancée en 2018 et s’appuie sur un nouveau cadre législatif à visée dissuasive. Dans ce contexte, cette étude fournit des données récentes sur le recours aux mesures d’isolement et de contention mécanique en psychiatrie à l’échelle nationale, et propose un panorama inédit de la population concernée ainsi que des variations du recours à ces mesures entre établissements de santé, en amont d’une deuxième étude qui visera à en caractériser les déterminants.
En 2022, 76 000 personnes ont été hospitalisées sans leur consentement à temps plein en psychiatrie : 37 % sont concernées par un recours à l’isolement, soit 28 000 personnes, et 11 % par un recours à la contention mécanique, soit 8 000 personnes.
Des disparités qui interrogent
L’emploi de ces mesures varie de façon marquée entre les établissements, certains d’entre eux n’en faisant aucun usage. L’ampleur des variations suggère qu’elles ne peuvent être justifiées par des différences de besoins des populations prises en charge et soulève des interrogations en lien avec les enjeux éthiques et juridiques associés à l’usage de l’isolement et de la contention.
Des éclairages qualitatifs permettent de repérer l’existence de savoirs, de pratiques et de représentations portés par une organisation du travail, une politique de ressources humaines et l’affirmation de valeurs, favorisant un moindre usage des pratiques coercitives en psychiatrie. Des politiques publiques plus ambitieuses, soutenant les équipes soignantes dans la limitation de l’usage des mesures d’isolement et de contention en psychiatrie, demeurent à penser pour atteindre tous les établissements.
Comment faire ?
Par exemple, l’inscription systématique de ces objectifs de réduction et de leur suivi annuel dans les nombreux outils d’animation des politiques locales, territoriales, régionales et nationales de santé mentale, et la prise en compte de ces questions dans les outils d’évaluation de la qualité des soins, permettraient d’accompagner et de soutenir l’effort de changement des établissements et l’évolution des pratiques tout en favorisant le partage de mesures de prévention efficaces entre établissements.
Néanmoins, il est nécessaire, au préalable, de donner les moyens aux équipes soignantes d’atteindre les objectifs de réduction du recours à ces mesures dans un contexte démographique défavorable pour les professionnels exerçant en psychiatrie hospitalière. A cette fin, il est possible de s’appuyer sur la systématisation des formations à la gestion des situations de crise et de violence, sur des exercices réflexifs sur les pratiques et des outils permettant de recueillir les préférences des patients en amont de la survenue de ces situations, en se fondant sur des programmes notamment mobilisés à l’étranger tels que les modèles « Safewards », « Six core strategies » ou « Qualityright » (Duffy et Kelly, 2023 ; Gooding et al., 2018).
Il est également possible de soutenir l’évaluation et la diffusion d’innovations organisationnelles pour faciliter la prise en charge des situations critiques en intra-hospitalier, par exemple des plateaux d’appui à la gestion de la violence ou des centres renforcés d’urgences psychiatriques, mais aussi pour les prévenir en amont par des dispositifs extrahospitaliers tels que les équipes mobiles de crise, les maisons de répit ou le soutien intensif à domicile.
Enfin, le recours observé aux mesures d’isolement et de contention en dehors du cadre légal des soins sans consentement en psychiatrie invite à soutenir un suivi de ces mesures dans d’autres champs, tels que dans les services d’urgences générales, dans le secteur médico-social et en gériatrie, où leur usage pose également question (Jacus et al., 2023), mais ne fait pas l’objet d’un recueil dédié. D’autres pratiques, comme la présence de services fermés ou le recours à la contention physique et à la médication forcée, gagneraient également à pouvoir être documentées à
l’échelle nationale en France à travers les systèmes d’information existants.
Isolement et contention en psychiatrie en 2022 : un panorama inédit de la population concernée et des disparités d’usage entre établissements, Esther Touitou-Burckard, Coralie Gandré, Magali Coldefy, en collaboration avec Anis Ellini, Sébastien Saetta et le consortium Plaid-Care, Questions d’éco,omie de la santé, IRDES, n° 286 – Février 2024