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16/05
2024

Selon le CGPL, le taux de recours aux soins sous contrainte peut « dépasser la moitié des admissions » dans les établissements visités

Comme chaque année, Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, présente son rapport. En psychiatrie, elle pointe à nouveau les effets délétères sur les droits des patients de la « profonde crise démographique de la psychiatrie », en particulier aux urgences. Dans certains établissements visités, le taux de recours aux soins sous contrainte peut « dépasser la moitié des admissions ». Malgré cela, la Contrôleure observe également que « l’appropriation de la réglementation sur l’isolement et la contention se poursuit ».

Au cours de l’année 2023, le CGLPL a effectué 110 visites de contrôle d’établissements. Elles concernent  :
- 31 établissements pénitentiaires ;
- 26 établissements de santé mentale :  11 établissements spécialisés en psychiatrie, tous pour la seconde fois ; 10 pôles de psychiatrie implantés en hôpital général ou universitaire, dont 6 était visités pour la première fois ; trois unités pour  malades difficiles, l’une pour la seconde fois, les deux autres pour la troisième ; 
- 5 centres de rétention administratives (CRA) ;
- 4 centres éducatifs fermés (CEF) ;
- 30 locaux de garde à vue, ;
2 procédures d’éloignement forcé ; 
- 6 tribunaux.

En psychiatrie…

Il n’est pas un seul des établissements visités par le CGLPL qui ne souffre pas, avec plus ou moins d’intensité, de graves problèmes de recrutement de médecins et de personnel soignant. Certains hôpitaux ne sont plus en mesure de faire face à leurs obligations et ferment des lits de manière provisoire ou durable, ce qui a pour effet de reporter la charge sur les services voisins qui sont alors saturés. La pédopsychiatrie, plus sinistrée encore que la psychiatrie pour adultes, est absente dans de nombreux départements ou dépourvue de toute capacité d’hospitalisation. Cette crise démographique bien connue atteint aujourd’hui un stade d’extrême gravité au point que la plupart des interlocuteurs du CGLPL considèrent qu’elle ne peut en l’état qu’aller en s’aggravant. Il devient dès lors nécessaire et urgent de surmonter les difficultés ou de changer de modèle.

Le taux observé de recours aux soins sans consentement dans les établissements visités en 2023 est très variable et peut dans certains cas dépasser la moitié des admissions. Les admissions sur décision du directeur de l’établissement sont en progression et, parmi celles-ci, les décisions sur demande d’un tiers en urgence ou en raison d’un péril imminent augmentent. Dans un établissement visité, la réduction du nombre des soins sans consentement répondait à une volonté dans ce sens, les outils mobilisés pour y parvenir consistant pour l’essentiel à prévenir une crise imposant des mesures d’urgence.

La filière des urgences, en raison de la tension des effectifs médicaux ou de faiblesses de l’organisation, est souvent le lieu d’atteintes graves aux droits des patients : la confidentialité n’est pas respectée, les mesures de contraintes ne sont pas conformes à la loi, les séjours dans des conditions matérielles indignes se prolongent, etc. L’absence de protocole entre urgences et psychiatrie occasionne régulièrement des conflits et des non-prises en charge de patients qui, une fois le certificat médical initial établi par les urgentistes, attendent souvent un lit plus de 48 heures, isolés et contenus. Les décisions de soins sans consentement tardent, de même que les décisions d’isolement et de contention, de sorte que les patients sont contraints sans base légale et sans contrôle du juge.

Evolution des pratiques et paradoxes

Cependant, l’appropriation de la réglementation relative à l’isolement et la contention se poursuit peu à peu. On rencontre désormais des établissements qui ont renoncé à l’isolement en chambre hôtelière, tentent des mesures alternatives avant d’en venir au dernier recours, mettent en place une surveillance et une traçabilité rigoureuses, informent le juge en temps réel et formalisent des politiques de réduction de l’isolement et de la contention. Certains ont même renoncé à la contention. Si la plupart des établissements visités mettent en pratique une partie de ces mesures, peu nombreux sont cependant ceux qui les respectent toutes. Souvent des mesures d’isolement informelles – aux urgences, sur des patients en soins libres, de manière séquentielle ou en chambre hôtelière – échappent à l’enregistrement, donc au contrôle du juge. On se trouve alors devant une situation paradoxale : des patients font l’objet de mesures de contrainte non fondées en droit et, pour cette seule raison, se voient privés de la plus élémentaire des garanties contre l’enfermement arbitraire, le contrôle par un juge.

Les modalités d’exécution des mesures d’isolement et de contention peuvent porter atteinte aux droits des patients : durée excessive, conditions matérielles indignes ou en tout cas non conformes aux exigences réglementaires, surveillance médicale insuffisante. Les rapports du CGLPL mettent en lumière de nombreuses faiblesses en cette matière.

« A force de visites, la surprise est de voir des services qui marchent bien, de rencontrer des soignants qui, ne croyant nullement à de prétendues vertus thérapeutiques de la contention, en parlent comme d’un supplice à éviter absolument. Leurs efforts payent, ils servent d’exemples. Au prix de leur épuisement.«

Parmi les moyens d’améliorer l’alliance thérapeutique, se trouve la recherche du consentement des patients. Or, dans la plupart des établissements visités, la recherche du consentement est peu développée, les explications données sont rares et sommaires. Les patients ne sont pas acteurs de leur traitement, ils le subissent, ce qui est une manifestation de la culture de l’enfermement. Trois méthodes permettent de recueillir ce consentement de manière efficace et humaine : le recours à des personnes de confiance, le recueil de « directives anticipées en psychiatrie » ou « contrats de gestion de crise » qui permettent de recueillir le consentement du patient lorsque celui-ci est en état de le formuler, et le recours à des médiateurs de santé pairs qui ont l’expérience personnelle de la maladie et, à ce titre, sont mieux à même de comprendre les patients. Le CGLPL préconise la mise en place systématique de ces moyens d’aide à la recherche du consentement.

« Le CGLPL préconise la mise en place systématique des moyens d’aide à la recherche du consentement que sont les personnes de confiance, les directives anticipées en psychiatrie et les médiateurs de santé pairs. »

La situation des mineurs

L’état alarmant de la pédopsychiatrie, et notamment l’absence fréquente d’offre d’hospitalisation complète conduit souvent à l’hospitalisation de mineurs en psychiatrie pour adultes. Dans cette situation, aucune mesure n’est prévue pour adapter la prise en charge à la situation des mineurs qui subissent le régime des adultes. Les enfants devraient pourtant être hospitalisés dans des services adaptés à leur âge et séparés des adultes. Par ailleurs, de nombreux jeunes, hospitalisés sur décision du titulaire de l’autorité parentale, sont admis sous le statut des « soins libres », ce qui n’autorise ni à les enfermer ni à les isoler et encore moins à les attacher. Or le CGLPL observe dans ses visites que de nombreux mineurs sont à ce jour isolés sans fondement légal. Il rappelle l’interdiction de placer des patients en soins libre, a fortiori mineurs, à l’isolement ou sous contention et souligne que si une telle mesure venait à être prise elle ne saurait en aucune manière être soustraite au contrôle du juge.

Répercussion en détention

Le CGLPL souligne également que la présence massive de personnes détenues souffrant de troubles mentaux contribue à la surpopulation carcérale et interdit leur prise en charge sanitaire dans des conditions adaptées. Il préconise une meilleure analyse de leur état de santé mentale en amont de l’incarcération, c’est-à-dire une amélioration des moyens d’expertise psychiatrique dont dispose la justice, ainsi qu’un plus large usage, lorsqu’elle est adaptée, de la suspension de peine pour raison médicale, aujourd’hui rarissime en matière de santé mentale. Il rappelle que la prison ne peut pas être regardée comme un lieu de soin.

Répartition des principaux motifs de saisine pour les établissements de santé en 2023
Le rapport aborde également les sollicitations et courriers reçus. On note que le pourcentage des saisines relatives aux établissements de santé diminue légèrement. Dans ce contexte, tout en restant majoritaire (59%), la part des saisines provenant des personnes concernées par une hospitalisation diminue, alors que celle des médecins et du personnel médical augmente à la fois en pourcentage total (11% contre 8% en 2022) et par rapport au nombre de saisines reçues en 2022 (+29%). Les motifs de ces saisines concernent :
- procédure (19,01%)
- accès aux soins (15,73%)
- préparation à la sortie (14,32%)
- isolement (5,87%)
- affectation (5,40%)
- relations patient/personnel (4,93%)
- relations avec l’extérieur (4,23%)
- accès au droit (3,98%)
- contention (3,76%)
- conditions de travail du personnel (3,52%).

*Crédit photo – Chambre d’isolement dans un hôpital psychiatrique (©CGLPL)
• Rapport d’activité 2023, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, 182 pages, en librairie aux Editions Dalloz le 16 mai 2024. Il sera téléchargeable sur le site du CGLPL à partir du 27 juin 2024.