Troubles psychiques : ne pas minorer les soins somatiques
La surmortalité des personnes vivant avec un trouble psychique est en partie liée à des prises en charge inadéquates sur le plan somatique. Cette étude présente les enseignements issu du dispositif des Medicaid Behavioral Health Homes * qui consiste à leur offrir un suivi de leur état de santé physique au sein de structures de soins ambulatoires spécialisées en santé mentale.
Les personnes vivant avec un trouble psychique sévère présentent des besoins de soins somatiques complexes, caractérisés par de fréquentes comorbidités et une surmortalité persistante. Ces constats suggèrent une inadéquation des prises en charge existantes et appellent à réduire la fragmentation de l’offre de soins, par exemple via des modes d’organisation permettant l’implication de structures ambulatoires spécialisées en santé mentale – telles que les Centres médicopsychologiques (CMP) en France – dans les soins primaires de leur patientèle.
Les États-Unis se singularisent par l’adoption de cette approche depuis une dizaine d’années, dans le cadre du dispositif des Medicaid Behavioral Health Homes * soutenu par l’Affordable Care Act (ou Obamacare qui a notamment eu pour objectif d’accroître l’équité d’accès aux soins). Cette synthèse présente les enseignements issus des évaluations de ce dispositif en vie réelle. Celui-ci repose sur la présence d’un infirmier salarié avec un rôle de coordination des soins au sein des structures de santé mentale ambulatoires travaillant en partenariat avec un professionnel de soins primaires autour de missions prédéfinies (promotion de la santé, bilans, orientation vers des spécialistes…) pour les personnes avec un trouble psychique sévère.
Des impacts positifs ont été montrés chez ces personnes en termes de recours aux soins primaires, de dépistage et de suivi des pathologies somatiques et de leurs facteurs de risque. Cependant, afin de permettre des effets à long terme, les évaluations révèlent que le développement de ce type de dispositifs doit être soutenu par des modes de financement pérennes, encourageant la collaboration et la responsabilité partagée entre les professionnels de santé, le renforcement des dotations en personnel au sein des structures de santé mentale ambulatoires, et des investissements dans les capacités de recueil et d’échange de données. Ces enseignements s’avèrent précieux pour la France, alors que des initiatives émergent au sein de CMP sans le soutien d’une stratégie nationale coordonnée (voir encadré ci-dessous).
L’exemple d’un exercice regroupé entre un Centre médico-psychologique (CMP) et un centre de santé généraliste Le centre médico-psychologique (CMP) de Bron dans la région Auvergne- Rhône-Alpes, rattaché au Centre hospitalier Le Vinatier, propose des prises en charge ambulatoires psychiatriques aux personnes majeures vivant avec un trouble psychique. Des psychiatres, des infirmières, une cadre de santé, une assistante sociale et une secrétaire médicale y exercent. Depuis 2022, le CMP cohabite avec un Centre de santé (CDS) de médecine générale, nommé « Le Jardin ». Ce CDS est construit sur un modèle associatif (loi 1901) avec une équipe constituée de médecins généralistes, d’assistantes médicales, d’une médiatrice en santé, d’une infirmière « Asalée » spécialisée dans le suivi des pathologies chroniques (Fournier et al., 2018) et de deux coordinatrices de projet. Son projet de santé adopte les principes de la santé communautaire, notamment dans l’attention portée à la réduction des inégalités de santé et à l’implication des usagers dans leurs parcours de soins, complétés d’une démarche écologique innovante (déprescription, limitation des déchets…) et d’une attention aux questions de genre et santé. Le CMP et le CDS collaborent sous la forme d’un dispositif intégré avec des locaux partagés. Cette collaboration prend plusieurs formes : • des échanges cliniques entre les deux structures avec des protocoles d’adressage formalisés, des réunions cliniques pluriprofessionnelles et des envois d’information par messagerie sécurisée (dispositif régional d’échange et de partage d’informations de santé MonSisra) ; • des prises en charge partagées pour les personnes vues au CMP et nécessitant un suivi somatique (pour celles qui n’ont pas de médecin traitant, les médecins généralistes du CDS s’engagent à assurer cette fonction) ainsi que pour les patients du CDS relevant d’un avis psychiatrique ; • la rédaction conjointe d’une charte de cohabitation ; • un groupe de réflexion sur l’accueil partagé des usagers, avec une sensibilité à la déstigmatisation des troubles psychiques et à l’inclusion des personnes vivant avec un handicap ; • la coanimation de groupes thérapeutiques (sur la dépression, le sommeil, l’activité physique…) ; • des formations partagées pour les différents professionnels ; • des échanges informels dans les espaces communs partagés. Ce dispositif, qui a bénéficié d’un soutien financier de la Fondation de France (notamment pour des ateliers collectifs et des équipements matériels), est une forme d’exercice regroupé entre CMP et CDS généraliste dont il existe d'autres exemples en France, notamment depuis 2016 à Marseille avec le centre de santé André Roussin.
*Le modèle des Behavioral Health Homes (BHH), développé aux États-Unis, consiste à offrir un suivi de l’état de santé
physique des personnes vivant avec un trouble psychique sévère au sein des structures de soins ambulatoires spécialisées en santé mentale où ces personnes sont suivies dans la communauté. Ce suivi est assuré par la présence de personnels dédiés à la coordination des soins dans ces structures travaillant en partenariat avec des professionnels de soins primaires.