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23/05
2023

« Je n’ai pas réellement abandonné ma rage, je l’ai embrassée ! »

Rémi, médiateur de santé pair, revient sur son parcours d’usager de la psychiatrie. Il est aujourd’hui enfin à sa place et tente de faire comprendre à ses pairs que le monde dans lequel il vit existe aussi pour eux, alors qu’autrefois il était dissimulé derrière un voile d’obscurité. Le chemin pour le traverser est à la fois périlleux et douloureux mais il vaut le coup !

En 2018, c’est la consécration pour l’Unité de moyen séjour de réhabilitation du Centre hospitalier des Pyrénées qui remporte le 2ème Prix infirmier en psychiatrie pour son projet intitulé : « Une suite à la psychoéducation : le patient expert ». La direction de l’établissement propose alors de recruter Rémi et Ludovic (deux patients) pour une mission de médiateur de santé pair. Par leurs interventions en matière d’accompagnement de leurs pairs et de formation (soignants, médico-sociaux…) ils suscitent l’intérêt et bousculent les préjugés sur la maladie mentale. Ils ne se contentent pas de prodiguer des soins à l’Autre, ils développent une réflexivité sur leur propre vécu et renforcent leur processus de rétablissement. Ils prennent de la hauteur !

Aujourd’hui médiateur de santé pair, Rémi Barrasso nous adresse ce témoignage

« Des ténèbres insondables. Voilà avec quoi j’ai vécu pendant une grande partie de ma vie. Et d’un certain point de vue, le pire était pour moi, qu’elles n’avaient aucune raison d’être. Pas d’antécédents de traumatisme, de divorce, de décès prématuré ou inattendu…

J’ai connu l’obscurité sous toutes ses facettes. La dépression, la dévalorisation, l’isolement, la peur de tout et surtout des gens, la colère, la rage, la soif de violence comme exutoire à une souffrance infinie, interminable et le désir de mourir profond et paradoxalement, salvateur.

Bizarre de se dire cela, mais pour moi, m’imaginer mort, une lame transperçant ma poitrine et mon cœur douloureux était source d’une forme de soulagement. Sans doute cela m’a fait tenir chaque jour un peu plus longtemps. La mort a accompagné, pour ainsi dire, chacun de mes pas pendant une dizaine d’année et je peux vous assurer que visualiser et projeter un avenir avec cette compagne est d’une difficulté absolue.

Une forme d’illumination m’a fait abandonné ce désir morbide quand j’ai réalisé que si j’allais jusqu’au bout je mènerai à la détresse et à la mort mon père, ma mère et mon frère. Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu cette vision : ils étaient si sensibles que mon décès provoquerait une hécatombe.

Je suis donc resté dans la souffrance, sans échappatoire, alors la rage est devenue mon seul remède. Le désir de détruire tout  pour sauver ce monde et moi même de la corruption, de la souffrance.

À cette époque, je me disais que je devais de devenir un monstre autant en apparence que par les actions. Étant seul et sans avenir c’était pour moi le rôle le plus évident. Ce partage entre le désir de devenir humain ou un monstre a duré beaucoup plus longtemps même si aujourd’hui j’ai fait mon choix.

J’ai fait des études malgré cette souffrance, mais je me sentais faible intrinsèquement. Par rapport aux autres, par rapport à moi. Pour contrer cela, car je voulais être fort, je me suis rigidifié jusqu’à ce que je casse.

Oui, je suis mort, d’une certaine manière puis je suis né de nouveau. Mais pour créer de la vie avec un cadavre il faut jouer d’effort et de patience. Je ne souffrais plus, plus rien ne me touchait et je me suis isolé chez moi.

Par la suite, j’ai rencontré des personnes qui m’ont fait avancer et m’ont valorisé jour après jour. Je pensais qu’ils mentaient quand ils me prêtaient de nombreuses qualités. Ils l’ont répété si souvent que j’ai fini par y croire ou en tout cas laisser un doute suffisant.

Et puis j’ai sauté dans le vide en faisant le choix de la formation des Médiateurs de Santé Pair. Je n’avais aucune idée vers où j’allais à ce moment là. Malgré les dires de ceux qui m’avaient aidé je restais persuadé que j’étais nul et peut-être que je l’ai été. Eux voyaient mon potentiel. J’ai décidé de m’accrocher pour leur faire honneur et avec le temps, bien après la fin de la formation, je me suis senti enfin à ma place.

J’ai finalement conquit le plus grand pouvoir de l’univers, peut-être le seul véritable en ce monde. Celui de Rêver.

C’est le pouvoir que je suis sensé transmettre à mes pairs. Mais comment leur faire comprendre à tous, que le monde dans lequel je vis aujourd’hui existe aussi pour eux. Alors que comme moi, autrefois, il était dissimulé derrière un voile d’obscurité. Que le chemin pour le traverser est à la fois périlleux et douloureux mais qu’il vaut le coup.

Qu’ils n’ont pas réellement besoin de changer ce qu’ils sont.

Car personnellement je n’ai pas réellement abandonné ma rage, je l’ai embrassée et lui ai donné le droit d’exister, ce qui l’a apaisée. Je n’ai pas abandonné les ténèbres car c’est à l’intérieur que je me suis forgé et que je suis reconnaissant de la richesse qu’elles m’ont apportées. Je n’ai pas abandonné la mort car mon temps passé avec elle, me fait la respecter et je crois en la nécessité de cette partie du cycle. J’ai compris que tout n’était affaire que d’équilibre… en tout cas pour moi. Je ne suis pas différent d’avant, je suis devenu bizarrement, à la fois celui que j’ai toujours voulu être et celui que j’ai toujours été… »